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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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concierge poussait des clameurs entrecoupées de sanglots. À la lueur d’une lampe électrique, j’aperçus un capitaine de coloniale, blanc comme un spectre et qui claquait des dents.
    Je regrimpai bien vite, écœuré, à mon perchoir. Je m’accoudai au balcon. Au-dessous de moi, dans cette glauque fin de nuit, je devinais l’énorme ville muette, sans une lumière, et cependant tout entière éveillée, à croupetons dans les ténèbres et dans la peur. Avoir fait ça de Paris ! Une fureur impuissante m’étranglait. Je désespérais des hommes. Quel monstrueux et grotesque fléau était sur nous !
    Diurnes, nocturnes, d’autres alertes suivirent presque aussitôt, mais tournant au vaudeville. On faisait tout à coup connaissance avec les mitrailleuses, crépitant à deux heures du matin, mais il se révélait un peu plus tard qu’elles avaient tiré sur l’avion de la Préfecture. On découvrait que l’autorité militaire faisait mugir les sirènes pour un avion isolé qui patrouillait à quelque trois cents kilomètres. La principale inquiétude devenait de savoir si à ce compte les Parisiens trouveraient encore deux heures de sommeil consécutif. Au soir, dans le joli ciel pâle de cette fin d’été, on voyait s’élever solennellement, entre le Champ-de-Mars et les Champs-Élysées, une demi-douzaine de ballons captifs. J’apprenais non sans surprise que ces engins constituaient un « barrage » de saucisses, et que l’on attendait des six ficelles ainsi tendues qu’elles arrêtassent l’assaillant.
    J’avais accompagné jusqu’à Senlis un bourgeois del’ Action Française, l’homme de la rue de Marignan, réformé, cossu et d’un bellicisme gaillard. Nous roulions dans une somptueuse vingt chevaux de grand sport. En traversant Saint-Denis, nous croisâmes un bataillon d’infanterie coloniale qui allait s’embarquer. Les troupiers paraissaient déjà harassés, suant sous le barda de campagne et les cuirs battant neuf. Chacun portait une pivoine ou une rose. Mais les civils les regardaient passer d’un air morne. Il n’y avait aucun attroupement. On ne pouvait partir plus platement pour la guerre. Je songeais aux premiers tués, ceux qui font des cadavres en ceinturons jaunes et en capote aux plis tout neufs. Je me penchai, j’esquissai un signe amical vers les marsouins. Mon bourgeois m’arrêta précipitamment, en donnant un énergique coup d’accélérateur. Un mot dru aurait pu répondre à notre bel équipage et nos mines florissantes. Les gens convenables n’acclamaient pas de si près le prolétariat guerrier.
    Nous refaisions la route où avaient galopé en septembre 1914 les avant-gardes allemandes. Une borne, à l’entrée d’un petit sous-bois, indiquait la pointe extrême de leur avance : vingt kilomètres de Paris, quinze minutes de rapide. De là, les cavaliers de von Kluck avaient pu voir les toits de la banlieue, d’un peu plus haut la Tour Eiffel. Je me saturais de ces pensées, j’avais un petit frisson rétrospectif. Mais mon compagnon, très désinvolte, souriait à ces souvenirs anachroniques.
    À Senlis, nous allâmes rendre visite au Père Supérieur des Maristes, à qui mon patriote devait bientôt confier son fils. Le collège gardait glorieusement une balle de la bataille de la Marne, fichée dans la soie verte du Tableau d’Honneur. Devant ce trophée, on s’entretenait avec une sérénité enjouée de la nouvelle guerre :
    — Hitler est acculé aux solutions de désespoir, disait l’honorable laïc.
    — Certes ! répondait avec force le Père qui m’avait été annoncé comme un ecclésiastique maurrassien. Cette fois, la bête est traquée.
    * * *
    En attendant, ce fauve aux abois tenait assez bien la campagne.
    Le même soir, j’essayais de tracer une ligne des opérations de Pologne sur la carte. En vérifiant mes repères avec les noms du dernier communiqué de Varsovie, je vis que je m’étais trompé partout de quinze lieues au détriment des Fritz. Leur avance, en moins d’une semaine, atteignait deux cents kilomètres. À l’heure qu’il était, ils devaient se battre aux portes de Varsovie.
    Je notais : « La Pologne apparaît fichue. De la Prusse orientale, de la Slovaquie, les Allemands peuvent la prendre de travers, de revers selon leur bon plaisir. »
    Une rouge colère me montait aux yeux : « L’incurie, l’anarchie slaves ont certainement joué un rôle capital dans ce désastre. Tous les généraux sont

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