Les Décombres
des politiciens. Conduire au feu plus d’un million d’hommes est certainement une tâche très au-dessus de ces orientaux romanesques, brouillons, bravaches, d’une incommensurable vanité. Le nom de Weygand, qui les tira d’affaire en 1920, est exécré dans ce pays.
Nous avions choisi cette Pologne pour ligne de résistance au germanisme à l’est. C’était une politique. Mais il fallait que la ligne existât, qu’on y travaillât. Il devait être naturel de dire aux Polonais : « Si vous n’acceptez pas secours et conseils, nous nous désintéresserons de votre sort ».
Bonnes âmes, nous en étions à nous figurer qu’une mission militaire française bien conditionnée, avec brevetés de l’École de Guerre et techniciens des chars, aurait sauvé les Polonais.
Les éminents stratèges qui depuis une semaine avaient occupé leurs emplacements de combat dans tous les journaux, conservaient devant cette déconfiture un magnifique sang-froid. La mémoire de Joffre et de Foch habitait leurs âmes, leur dictait le mot de la situation : « Pas d’affolement ! De quoi s’agit-il ? » Ces hommes étincelants de science se chargeaient de découvrir « le sens du recul ». Car, bien entendu, seul le profane ignare pouvait conclure : « Les Polonais foutent le camp. » M. Lucien Romier, prince des économistes, se révélait un imbattable virtuose dans cet élégant vocabulaire où toujours l’ennemi s’efforce, tente, esquisse. Il concluait, inaugurant le plus solide truisme de cette guerre, qu’en somme les Allemands avaient un sérieux retard sur leurs plans. Le général Duval, retroussant crânement ses manches devant les deux rubriques quotidiennes et les deux hebdomadaires qui l’accablaient du coup de presque autant de copie que M. Paul Reboux, décrivait la position d’arrêt prévue par les Polonais et où ils allaient « opposer une résistance définitive ». M. Henry Bidou comprenait tout sans peine : l’armée polonaise se retirait méthodiquement pour atteindre la ligne historique des quatre Rivières où les Russes jadis avaient tenu cinq mois.
M. de Givet, dans L’Ordre de l’estimable Buré, nous rappelait d’opportune façon que les Polonais n’avaient pas « porté leur principal effort d’armement sur le matériel lourd. Ils ont surtout recherché la mobilité, développant leur matériel léger et entraînant leurs troupes au maximum de souplesse. Cela suffit à indiquer que, de toutes façons, l’état-major polonais entendait faire une guerre exclusivement de mouvement ».
On ne pouvait certes point y contredire en mesurant le chemin que venaient de parcourir ses troupes en moins de huit jours.
M. Jean Giraudoux, poète promu ministre de l’Information française, dédaignait cette arithmétique et cette géométrie vulgaires des batailles. Par la voix de la radio, il venait d’inspirer à quarante millions de Français des raisons élevées de contempler sans pessimisme la carte de notre alliée. Il énumérait honnêtement les conquêtes allemandes : le Couloir, Kattovice, Poznan, Cracovie. Mais il nous annonçait que ces succès étaient fort prévisibles et en somme négligeables, parce que les Polonais avaient résolu de défendre ces territoires mal situés, « d’offrir leur résistance dès le premier mètre carré de leur sol, pour ne pas abandonner le premier pouce de leur territoire, puisqu’il était le premier territoire attaqué de la liberté humaine ».
Je n’en croyais pas mes oreilles. J’avais relu trois fois le texte. M. Giraudoux était bien formel. L’écrivain le plus délié des lettres contemporaines nous donnait comme réconfort la certitude que les Polonais venaient de commettre la plus lourde bêtise en se battant sur le pire terrain, dont par surcroît ils se faisaient déloger en un clin d’œil. Un goitreux de montagne en fût resté béant.
Mais M. Jean Giraudoux développait sa thèse, Jérôme Bardini en face des Panzerdivisionen, flanqué du diplomate confit dans la plus parfaite orthodoxie démocratique. Pourquoi l’état-major polonais avait-il accepté une bataille perdue d’avance ? « Les raisons en sont simples. C’est que les Polonais sont comme nous. Ils ne font pas la guerre allemande. Ils font ce que nous avons fait en 1914, ce que nous allons faire, une guerre personnelle, ils font leur guerre, la guerre polonaise.
« Ils pensent que, dans la façon même de se battre, il y a une
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