Les derniers jours de Jules Cesar
savait quand il reviendrait. Il songea
alors à un intime de son chef, qui entretenait des relations avec les
personnages les plus en vue de la ville et qu’il lui serait facile d’approcher.
Il se dirigea vers le forum Olitorium puis vers le temple d’Esculape, sur l’île
Tibérine, où exerçait Antistius.
Le médecin examinait un patient souffrant d’une toux sèche
et irritante.
« Du nouveau ? demanda-t-il à Silius.
— Non. Son état est stationnaire. Je voulais juste te
poser quelques questions, bavarder avec toi.
— Tu es pressé ?
— Non, mais je ne veux pas m’absenter trop longtemps,
compte tenu de la situation.
— Assieds-toi dans ce petit dispensaire. J’ai presque
terminé. »
L’aide de camp pénétra dans la pièce et s’assit près d’une
fenêtre. Dehors, le corps de garde de la IX e Légion avait
cantonné deux manipules. Des hommes allaient et venaient sur les ponts qui
rattachaient l’île à la terre ferme avec des messages et des ordres de service.
Des individus sans doute arrivés par la mer quittaient leur embarcation à
l’instant même. La voix d’Antistius l’arracha à ce spectacle : « Me
voici. Que puis-je pour ta santé ?
— Rien pour le moment. Il y a une heure, le général m’a
tenu un discours bizarre.
— De quoi parliez-vous ?
— Je lui avais remis le courrier et des documents
administratifs à signer. Il a fait une réflexion sans aucun lien avec nos
occupations, qui reflétait probablement une idée fixe.
— Quoi ?
— Il a dit : “Sais-tu que l’année dernière, quand
j’étais en Espagne, d’étranges bruits circulaient à l’arrière ?” Cela
semblait le ronger. Voilà pourquoi ses propos m’ont frappé.
— Qu’as-tu répondu ?
— Rien. Je ne savais que dire. Et puis, il s’est
interrompu pour me réclamer les documents à signer. J’ai pensé que tu étais au
courant. Si mes souvenirs sont bons, tu étais à Narbonne au cours de cette
période. »
Antistius ferma la porte et s’assit, l’air songeur. Il
déclara d’une voix basse et grave : « Lorsqu’un médecin travaille à
l’arrière d’une grande expédition militaire, il rencontre de nombreux
individus, entend des cris de souffrance, des imprécations, des délires, des
aveux d’hommes souhaitant libérer leur conscience avant d’entreprendre le grand
voyage dont personne n’est jamais revenu. »
Silius était surpris. Les paroles de César avaient-elles
donc un sens pour le médecin ?
« En effet, reprit celui-ci, des bruits circulaient
après la victoire de César à Munda. On parlait de complot.
— Un complot ? Quel genre de complot ?
— Contre lui. Pour le destituer, peut-être… voire pire.
— Sois plus explicite, s’il te plaît. À quoi fais-tu
allusion ?
— Il s’agissait des nôtres, semble-t-il. Des officiers
de haut rang, des magistrats.
— Je ne comprends pas… Pourquoi n’en as-tu pas parlé à
César ? Pourquoi ne lui as-tu pas donné ces noms ? Tu les connais,
n’est-ce pas ?
— C’étaient des bruits…, répondit Antistius avec un
soupir. Comment causer la perte d’individus en se fondant sur des racontars,
voire des calomnies savamment distillées ? De toute façon, je suis certain
que ces bruits sont arrivés jusqu’à lui. Je l’ai entendu, moi aussi, tenir les
discours qui t’ont impressionné aujourd’hui.
— Dans ce cas, pourquoi ne frappe-t-il pas ses
adversaires ? Pourquoi ne les anéantit-il pas ?
— Pourquoi ? Lui seul le sait. Si tu veux mon
avis, il croit aveuglement en ce qu’il a fait et en ce qu’il fait. Il croit à
fond en sa… comment dire… mission historique. Il veut en finir avec les guerres
civiles. Instaurer une période de réconciliation. Mettre fin à l’épanchement de
sang. »
Silius secoua la tête, effrayé par des visions de massacres.
« Je sais à quoi tu penses. Pourtant, César est
persuadé qu’il n’existe qu’une seule voie possible : défaire sur le champ
de bataille tous ceux qui n’ont pas compris que les temps ont changé, que les
institutions de la ville ne peuvent soutenir le monde, les convaincre avec les
bonnes ou les mauvaises manières de collaborer à son projet. Il les a obligés à
le reconnaître, puis il a tendu la main aux rescapés et a honoré les morts.
Souviens-toi des funérailles qu’il a réservées à Labienus. C’étaient celles
d’un héros. La dépouille portée par six officiers de
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