Les derniers jours de Jules Cesar
fils de Pompée et contre Labienus à Munda…
— Quelle idée…
— Près de cent mille disparus, dont les meilleurs
soldats qu’on puisse trouver. S’ils s’étaient battus ensemble contre des
ennemis extérieurs au lieu de s’affronter mutuellement, la domination du peuple
romain s’étendrait jusqu’en Inde et jusqu’à l’océan oriental.
— Tu y parviendras quand même. »
Irrité, César effaça avec la boule d’ambre enchâssée dans le
stylet les signes qu’il venait de tracer.
« Je ne sais pas, je suis fatigué. Un fait est
certain : je ne supporte plus Rome. Plus tôt je partirai, mieux ce sera.
Mon départ serait providentiel à plus d’un titre.
— C’est pour cette raison que tu attends avec
impatience des nouvelles de Publius Sextius ? »
César dévisagea son interlocuteur, qui baissa bientôt la
tête. « Pardonne-moi, mon général. Je ne voulais pas…
— Peu importe. Tu sais que j’ai confiance en toi. Si je
ne t’ai rien révélé, c’est pour éviter de t’exposer à d’inutiles dangers. Il y
a de la tension dans l’air, le signe… que quelque chose va se passer. Je ne
supporte plus cette attente. Voilà pourquoi, peut-être, ma maladie ressurgit au
moment où je ne m’y attends pas. J’ai vécu des expériences de toutes sortes,
mais sur les champs de bataille on dispose d’un avantage : on sait de quel
côté se tient l’ennemi. »
Silius acquiesça. César se replongea dans la lettre de
Pollion tout en prenant des notes sur sa tablette. On aurait dit que plusieurs
mois s’étaient écoulés depuis la crise de ce matin-là : il semblait
parfaitement maîtriser la situation, mais il était tendu, inquiet, et Silius,
qui ignorait la source de ses inquiétudes, n’était pas en mesure de l’aider.
Soudain, César leva la tête. « Sais-tu que l’année dernière, quand jetais
en Espagne, d’étranges bruits circulaient à l’arrière ?
— Des bruits de quelle sorte, mon général ?
— Des racontars, des soupçons… Donne-moi ces documents
à signer. Je lirai les lettres plus tard. »
Chapitre IV
Romae,
ante diem VIII Idus Martias, hora sexta
Rome,
8 mars, onze heures du matin
D’étranges bruits.
La formule de César poursuivait Silius, et ses propos
continuaient de retentir dans son esprit. Il fouillait sa mémoire : il se
trouvait lui aussi à l’arrière… à Marseille, à Narbonne, organisant la
logistique, les communications.
Cette campagne avait été sanglante, peut-être la plus
terrible de toutes. À Munda, il y avait Titus Labienus, l’ancien bras droit de
César, le héros de la guerre des Gaules, le lieutenant capable de supporter
toutes les responsabilités, d’affronter tous les dangers, jamais las, jamais
abattu, jamais perplexe. Un Romain d’autrefois, un homme d’une seule pièce, un
officier au formidable caractère. Il était à la tête des adversaires de César,
qui s’étaient férocement battus.
Labienus avait abandonné son chef suprême le jour où
celui-ci avait décidé de franchir le Rubicon, de pénétrer, armé, sur le
territoire de la République, sur une terre sacrée et inviolable. Il avait
rejoint Pompée et ses fils, ainsi que tous les défenseurs déclarés de la
République, du sénat et du peuple.
À Munda, l’affrontement avait été d’une violence inouïe,
l’acharnement des combattants sans fin, et les adversaires de César (il ne
parvenait pas, malgré tout, à les considérer comme des ennemis) avaient fini
par l’emporter. César s’était alors préparé au suicide, persuadé qu’il serait
traité impitoyablement en cas de défaite et certain que c’était, pour un
aristocrate, la seule façon de conclure son existence.
Mais un épisode impensable s’était produit. Labienus avait
dégarni son aile droite pour renforcer la gauche, soumise à une forte
pression : ses partisans en avaient déduit qu’il se repliait et avaient
fui le terrain en désordre. La bataille s’était achevée par un massacre. Les
pompéiens avaient perdu trente mille hommes.
Étaient-ce là les visions qui bouleversaient César ?
Des horreurs capables de déclencher ses crises ? Il avait évoqué un autre
élément : des rumeurs inquiétantes circulant à l’arrière. Qu’en
était-il ?
Silius aurait aimé interroger Publius Sextius, l’homme en
qui César avait une entière confiance, mais le centurion était au loin, engagé
dans une mission délicate, et on ne
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