Les derniers jours de Jules Cesar
tenace
s’expliquerait mieux ainsi. Il y a toutefois un autre problème.
— Quoi ?
— Si ces inscriptions risquent d’influencer Brutus,
elles le mettent aussi hors de cause, elles le compromettent publiquement, ce
qui est incompatible avec une conjuration, s’il s’agit bien d’une conjuration,
censée rester secrète, tout comme le nom de ceux qui y participent.
— Oui, répondit Silius. C’est vrai, pourtant je ne peux
pas croire que César ignore le nom de ceux qui se cachent derrière ces
inscriptions. Il sait qui sont ses amis-ennemis. Il connaît leurs pensées,
leurs rêves, leurs activités secrètes… n’est-ce pas ?
— Ce n’est pas dit. Il pourrait conclure à une
tentative de discréditer Brutus à ses yeux. D’autres aspiraient à la prêture
que Brutus a obtenue… Tout cela est absurde. »
Silius tentait de mettre de l’ordre dans les pensées qui se
pressaient dans son esprit, se contredisant l’une l’autre. Antistius
l’observait de son regard clair et pénétrant, le regard attentif qu’il
réservait à ses patients.
Des bruits s’élevèrent de l’arsenal. Le pas rapide d’un
piquet se rapprochant du corps de garde afin de rendre les honneurs indiquait
qu’un personnage illustre débarquait sur le quai. L’officier ordonna à ses
hommes de présenter les armes, et deux sonneries de trompette accueillirent le
nouveau venu. Le vacarme laissait entendre qu’il s’agissait de Lépide en
personne.
Silius sursauta. « Dis-moi sincèrement le fond de ta
pensée. Si César était au courant d’une menace, prendrait-il des mesures pour
se défendre ? Réagirait-il ?
— En toute honnêteté, je ne sais que te répondre. Je
pense que oui, mais certaines de ses attitudes contredisent pareille
conviction.
— Il faut que j’agisse moi-même. Je ne supporte pas l’idée
qu’une menace plane sur lui sans que je puisse rien y faire.
— Je te comprends. Mais agir dans un sens ou dans
l’autre pourrait être dangereux. Il convient d’enquêter, de se renseigner
discrètement et prudemment.
— Comment ?
— Une seule personne se situe à la frontière qui sépare
César de ses probables ennemis. Cette personne sait qui se meut dans chaque
camp. Servilia.
— La mère de Brutus ?
— Oui. Mère de Brutus, sœur de Caton, maîtresse de
César depuis toujours.
— Pourquoi devrait-elle me parler ?
— Il n’est pas dit qu’elle le fasse. Pourtant, elle
aurait de bonnes raisons. Prévenir, voilà… elle pourrait avoir intérêt à
prévenir les choses. Réfléchis donc. Servilia a déjà perdu Caton, son frère,
qui a préféré la mort au pardon de César après avoir été vaincu dans la
campagne d’Afrique. Si César était tué, elle perdrait le seul homme qu’elle ait
jamais aimé. Si César en réchappait, elle perdrait probablement un fils, en
admettant qu’il soit impliqué dans une conjuration. D’autre part, il lui serait
impossible d’avertir César, si elle savait quoi que ce soit, car elle
risquerait ainsi de provoquer la mort de Brutus. Certains affirment que si
César l’a épargné après la bataille de Pharsale, c’était pour éviter de la
faire souffrir. »
Silius porta les mains à ses tempes. « C’est un
labyrinthe. Comment agir dans un tel enchevêtrement de passions
contraires ? Je ne suis qu’un soldat.
— Tu as raison. Mieux vaut ne pas s’en mêler.
— Mais toi, comment fais-tu pour en savoir
autant ?
— Je ne sais rien. Je suppose, je bâtis des hypothèses.
Et puis je suis son médecin. Ne l’oublie pas. Un médecin digne de ce nom doit
s’efforcer de comprendre également les non-dits, de voir ce qui est caché,
d’entendre ce qui n’est pas prononcé. Les médecins ont l’habitude de se battre
contre la mort. Si Servilia est au courant, elle ne dispose à mes yeux que
d’une seule possibilité : indiquer une issue aux êtres qui lui sont chers.
Mais elle seule peut savoir laquelle.
— Si tu voulais aider César, comment agirais-tu ?
interrogea Silius après avoir marqué une longue pause.
— J’agis déjà, répondit Antistius, énigmatique.
— Et tu as attendu tout ce temps pour me le dire ?
— Tu ne me l’as jamais demandé.
— Je te le demande maintenant. S’il te plaît. Tu sais
que tu peux avoir confiance en moi.
— Oui. De fait, je ne dirais jamais à personne ce que
je m’apprête à te confier. »
Silius hocha la tête, dans l’attente d’une
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