Les derniers jours de Jules Cesar
sait jamais.
Il pourrait être retenu par des imprévus. L’attente m’inquiète. Rome dispose
d’un système de routes et de communications unique au monde, et pourtant les
nouvelles circulent lentement, trop lentement pour ceux qui les
attendent. »
Il s’assit sur une marche du temple et contempla la Curie en
travaux. De temps à autre, il levait les yeux vers les nuages bas, effilochés,
qui passaient au-dessus de la ville.
« Il me tarde de partir. La politique romaine
m’étouffe.
— L’expédition ne sera pas sans risques.
— Au moins, mes ennemis se dresseront en face de moi,
sur le champ de bataille, et je serai entouré d’hommes de confiance. Ici, je ne
connais jamais les pensées de mes interlocuteurs.
— C’est vrai, à la bataille chacun doit se fier aux
autres. Il en va de la vie de tous.
— Tu vois ce portique ? Il y a quelque temps, une
délégation du sénat est venue me trouver ici pour énumérer les honneurs qu’on
m’avait accordés lors d’une séance. J’ai répondu à ces hommes qu’il ne fallait
pas me donner davantage d’honneurs et de charges, mais m’en délester. »
Silius sourit.
« Sais-tu ce qu’ils m’ont répondu ? Que j’étais un
ingrat. Que je ne m’étais pas levé à leur arrivée, me comportant donc comme un
dieu, étant donné le lieu, ou comme un roi. Assis sur son trône sous le
portique d’un temple.
— Je l’ai entendu dire. Mais ces choses-là ne peuvent
être évitées : tous tes gestes, même les plus négligeables, sont amplifiés
et interprétés de façon erronée. C’est le prix à payer pour le pouvoir acquis.
— Mon geste s’expliquait très simplement : César
lui-même doit se plier aux misères humaines. Veux-tu savoir pourquoi je ne me
suis pas levé ? Parce que j’avais la diarrhée. Cela aurait pu être
embarrassant.
— Personne ne le croirait. Quoi qu’il en soit, il en va
de même des racontars qui visent à détruire ton image auprès du peuple en le
persuadant que tu veux devenir roi. »
César soupira. Ses bras étaient posés sur ses genoux comme
ceux d’un travailleur las. Il dévisagea Silius d’un air énigmatique. « Et
toi, tu le crois ?
— Quoi ? Que tu veux devenir roi ?
— Oui. Quoi d’autre ?
— Tu es le seul à pouvoir donner la bonne réponse, mais
certaines de tes attitudes laissent entendre qu’il en est ainsi.
— Lesquelles ?
— Le jour des Lupercales… »
César secoua la tête. « Nous en avons déjà parlé. Je
t’ai dit comment les choses se sont déroulées. Mais tout le monde pense que
j’avais organisé cette mise en scène. Et toi aussi peut-être.
— En vérité, il est difficile de ne pas le penser. Pour
nombre de Romains, la présence ici de Cléopâtre et de son fils n’est qu’un
écran de fumée. Cicéron, plus que quiconque, en est ulcéré. Il est aisé de
conclure qu’elle t’a persuadé d’établir une monarchie héréditaire dont le petit
Ptolémée César serait l’héritier naturel. »
Le Forum commençait à se vider : les passants se
dirigeaient vers leurs demeures et s’apprêtaient à dîner, en particulier ceux
qui avaient des invités. Les prêtres fermaient les portes des sanctuaires, la
fumée d’un sacrifice s’élevait du Capitole, se mêlant au gris des nuages. Les
colonnes du temple de Vénus adoptaient elles aussi la couleur du ciel.
« Comment peux-tu croire une chose pareille ? Seul
un idiot pourrait mettre en scène une telle bouffonnerie. Quant à Cléopâtre, je
ne suis pas assez fou pour imaginer que les Romains accepteraient d’être
gouvernés par un roi, de surcroît étranger.
— C’est exact, général. Dans ce cas, comment juges-tu
l’attitude d’Antoine ? J’y ai longuement réfléchi. Cette question est
cruciale car sa réponse implique un jugement de fond sur un des membres les
plus importants de ton entourage, dont l’appui t’est indispensable. »
César regarda Silius comme il ne l’avait jamais regardé, pas
même après qu’Antistius lui eut dit ouvertement ce qu’il pensait de sa maladie.
L’aide de camp sentit une profonde tristesse l’envahir : un instant, il
crut lire de la stupeur et peut-être de l’effroi dans les yeux de son
invincible général.
« Tu sais quoi ? dit ce dernier. Il m’arrive
d’avoir envie de bière. Cela fait longtemps que je n’en ai pas bu. »
Silius ne se trompait pas : quand César changeait de
sujet de façon aussi
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