Les derniers jours de Jules Cesar
brusque et incongrue, c’était parce qu’il fuyait des
pensées trop angoissantes.
« De la bière, général ? Il y a une taverne à
Ostie qui en sert une excellente, brune à souhait, à la bonne température,
conservée dans une cave. Comme tu ne souhaites sans doute pas aller jusque-là,
je t’en procurerai une amphore demain. » Silius attendait sa réponse,
malgré la bière, César en était conscient.
« Que sais-tu d’Antoine que j’ignore ? demanda le
dictateur d’une voix grave.
— Rien… rien que tu ne saches. Néanmoins je pense que…
Publius Sextius pourrait…
— Pourrait…
— … apprendre du nouveau à son sujet.
— Tu lui en as parlé ?
— Pas exactement, mais je sais qu’il a des soupçons et
je pense qu’il n’aura pas l’âme en paix tant qu’il n’aura pas trouvé de réponse
convaincante.
— Veux-tu dire par là que Publius Sextius a pris
l’initiative de faire une enquête sur Antoine ?
— Le connaissant, Publius Sextius pourrait enquêter sur
tout ce qui a trait à ta sécurité. Mais toi, général, qu’en penses-tu ?
Que penses-tu de Marc Antoine ? De l’homme qui voulait te faire roi ?
Comment expliques-tu son geste aux Lupercales ? S’agissait-il seulement
d’une imprudence ? D’une distraction ? »
César réfléchit un moment avant de déclarer : « Il
est possible qu’Antoine n’ait pas compris ce qui se passait et qu’il ait agi
d’instinct. Ces derniers temps, il s’est senti écarté, et il pensait peut-être
acquérir des mérites à mes yeux par son geste. Antoine est un bon soldat, mais
il ne comprend pas grand-chose à la politique. Or, tout est là, dans la
politique… il importe de comprendre les pensées de ses adversaires, de prévenir
leurs mouvements, d’avoir toujours une contre-attaque en réserve.
— Tu t’en es bien tiré grâce à ta promptitude d’esprit
habituelle, celle qui t’a permis de l’emporter tant de fois sur le champ de
bataille.
— Tu crois ? Et pourtant j’ignore encore à qui
faire confiance.
— À moi, général, répondit Silius en plongeant les yeux
dans ceux de César, des yeux gris, de faucon, qui avaient dominé les champs de
bataille et qui s’égaraient à présent dans les labyrinthes obscurs de la ville.
À Publius Sextius, dit “le Bâton”, à tes soldats qui te suivraient jusqu’en
enfer.
— Oui. Et cela me réconforte. Cependant je ne sais pas
ce qui m’attend. »
Il se leva et entreprit de descendre l’escalier. Le vent
d’ouest agitait ses vêtements. « Viens, dit-il. Rentrons. »
Romae,
in aedibus Marci Junii Bruti, a.d. VII Id. Mart.,
hora
duodecima
Rome,
demeure de Marcus Junius Brutus, 9 mars,
cinq
heures de l’après-midi
Seul le léger gargouillement de l’horloge hydraulique
brisait le silence de la grande demeure. Cet objet extrêmement raffiné était
sans doute l’œuvre d’un artisan alexandrin. Les heures du jour y étaient
représentées sous forme de jeunes filles en une mosaïque aux tesselles
minuscules sur un fond bleu : vêtues de blanc et les cheveux parsemés de
reflets d’or le jour ; de noir, les chevelures argentées la nuit.
Soudain, des voix retentirent à l’extérieur, suivies d’un
bruit de volets qui claquaient, puis d’un pas rapide le long d’un couloir. Une
porte s’ouvrit, le sifflement du vent s’engouffra dans la maison. Une feuille
morte se posa dans un coin du couloir.
Une femme magnifique quitta sa chambre, à l’étage supérieur.
Légèrement vêtue, les pieds nus, elle parcourut la galerie jusqu’à l’escalier
de service d’où provenaient ces bruits. Elle se pencha à une balustrade et vit
six ou sept hommes entrer par la porte de derrière après avoir jeté un coup
d’œil à la rue.
Un serviteur les conduisit au cabinet du maître de maison,
au bout d’un couloir, et les confia à leur hôte.
Quand il se fut éloigné, la femme regagna sa chambre,
verrouilla la porte et s’agenouilla au centre de la pièce. À l’aide d’un
stylet, elle souleva un carreau qui dissimulait un petit bout de bois fixé à
une cordelette, sur laquelle elle tira. Une fente s’ouvrit. En y collant l’œil,
on pouvait voir ce qui se passait dessous, dans le cabinet de Marcus Junius
Brutus.
Pontius Aquila déclinait l’invitation à s’asseoir du maître
de maison. « Brutus, demanda-t-il, tendu, quelle décision as-tu
prise ?
— Attendons la réponse de Cicéron,
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