Les derniers jours de Jules Cesar
répondit l’intéressé
en s’asseyant avec un calme ostentatoire.
— Qu’il aille en enfer ! s’exclama Tillius
Cimbrus. Parler, voilà tout ce qu’il sait faire. À quoi nous
servirait-il ? Nous n’avons pas besoin d’autres adhésions. Combien
d’hommes faut-il pour en tuer un seul ? »
Publius Casca intervint : « Nous avions décidé de
ne pas l’impliquer dans cette affaire. Il n’a pas assez de cran.
— Calmez-vous, dit Brutus. Je veux d’abord être assuré
du soutien de Cicéron. Et ce, non pour qu’il brandisse un poignard. Il jouit
d’un prestige énorme au sénat. Si notre plan est couronné de succès, nous
devons songer à ses conséquences. Le rôle de Cicéron est fondamental pour la
suite.
— La terre commence à brûler sous nos pieds, répliqua
Casca. Il convient d’agir sur-le-champ.
— Casca a raison, affirma Pontius Aquila. César a,
semble-t-il, lâché ses limiers. Il suffit qu’un seul d’entre nous laisse
échapper un mot, qu’il se trahisse par un regard, qu’il prenne peur, perde la
tête, pour qu’il en soit fini de nous. Le temps est notre ennemi.
— Que sais-tu de précis ? interrogea Brutus.
— César enquête dans des régions périphériques par
l’intermédiaire d’hommes de confiance de façon que nous nous sentions en
sécurité ici, dans la capitale. C’est la technique du nœud coulant : il se
resserre jour après jour jusqu’à ce qu’il étrangle. Il faut frapper sans
tarder. »
Les voix parvenaient à l’étage sous forme de murmure,
ponctué de quelques vibrations plus aiguës, et la femme se déplaçait souvent autour
du trou dans le sol, à la recherche d’un meilleur point de vue.
De nouveau, la voix de Marcus Brutus retentit,
moqueuse : « Ses hommes de confiance ? C’est nous ! »
Casca n’avait guère envie de plaisanter. « Si tu n’en
as pas le courage, il vaut mieux que tu le dises clairement. »
Dans la chambre, la femme sursauta, comme frappée par un
objet.
« Je dis toujours la vérité, rétorqua Brutus. Et rien
ne t’autorise à faire de pareilles insinuations.
— Suffit ! La situation est insoutenable. Nous
sommes nombreux, trop nombreux. Cela augmente les probabilités de fuites.
Aquila, qu’entendais-tu par “régions périphériques” ?
— J’ai appris que Publius Sextius, le centurion qui a
sauvé la vie de César en Gaule, s’est présenté à Modène à la fin du mois dernier.
Il poserait d’étranges questions. Le hasard veut qu’il y ait à Modène l’un des
meilleurs espions qui soient. Un homme vénal, qui se soucie peu de ses
convictions et de ses amitiés politiques. Seul l’argent l’intéresse.
— Voilà ce que j’entends par “hommes de confiance”,
déclara Aquila. Publius Sextius est inexpugnable. Ce n’est pas un homme, c’est
un roc. Si César l’a rappelé, cela signifie qu’il n’a confiance en aucun
d’entre vous. Et rien ne dit que Publius Sextius soit le seul. »
Un silence de plomb s’abattit sur la pièce. Les propos de
Pontius Aquila avaient rappelé à chaque homme présent qu’il existait des êtres
pour lesquels la fidélité à leurs principes et à leurs amis constituait une
vertu fondamentale, des êtres réfractaires aux compromis, dotés d’une extrême
cohérence. Les conjurés, en revanche, n’avaient pas refusé les faveurs, l’aide,
le pardon de l’homme qu’ils s’apprêtaient à tuer. Cela suscitait en eux un
malaise profond, de la rancune, une honte qu’il leur était de plus en plus difficile
de supporter au fil des jours. Chacun d’eux justifiait le geste qu’ils
entendaient accomplir par des motifs nobles, tels que la fin de la tyrannie, la
fidélité – voilà le mot – à la République, or, plus les heures et les
jours passaient, plus leur véritable mobile s’affirmait, comme un chardon sur
une pelouse : la fureur de devoir à César la vie, le salut, la fortune.
Aquila reprit : « Je pense qu’il vaudrait mieux
avancer notre projet. L’accomplir demain. Je suis prêt.
— Oui, plus tôt ce sera, mieux ce sera »,
renchérit Casca, de plus en plus inquiet.
Brutus les dévisagea l’un après l’autre. « Il faut que
je sache si vous parlez pour vous-mêmes ou pour le compte des autres.
— La majorité est d’accord, répondit Aquila.
— Pas moi. Quand on prend une décision, il faut s’y
tenir, coûte que coûte. S’il y a des risques, nous les courrons.
— En outre,
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