Les derniers jours de Jules Cesar
son poing un bâton d’où pendaient de petits
disques métalliques. C’était un devin étrusque, descendant d’une noble famille,
les Spurinna. Il menait une existence humble, vivant des offrandes des fidèles
et de tous ceux qui le consultaient dans le but d’être éclairés sur leur
avenir. César l’avait vu à plusieurs reprises assister à des cérémonies que
lui-même présidait et il l’avait parfois prié d’examiner les entrailles des
victimes sacrifiées afin d’en tirer un augure.
L’haruspice siffla en fixant sur lui son regard
illuminé : « Méfie-toi des ides de mars !
— Qu’est-ce que… »
Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase : Titus
Spurinna s’était déjà éclipsé, tel un fantôme.
Troublé, César erra longuement dans la ville, s’efforçant de
saisir le sens de ce message. Enfin la sonnerie d’une trompette, près de l’île
Tibérine, l’arracha à son malaise : elle annonçait le premier tour de
garde au quartier général de la IX e Légion. Il poursuivit son
chemin d’un bon pas et rejoignit Silius près du temple de Saturne. Bouleversé
par son absence prolongée, assailli par les regrets, l’aide de camp s’apprêtait
à lancer un millier d’hommes à sa recherche.
Avertie de son retour, Calpurnia se précipita sur lui, en
pleurs.
« Que se passe-t-il donc ? interrogea César d’une
voix irritée.
— Nous craignions pour ta vie, général, répondit
Silius. Il s’est écoulé beaucoup de temps depuis ton départ. »
César garda le silence.
In
via Flaminia minore, Cauponae ad sandalum Herculis,
a.d.
IV Id. Mart., at initium tertiae vigiliae
Via
Flaminia minor, auberge À la sandale d’Hercule,
12 mars,
début du troisième tour de garde, après minuit
Le cavalier se présenta à vive allure sur la route enneigée.
Il était transi de froid. Tout près de là s’ouvrait une vaste clairière où se
dressait un bâtiment de pierre coiffé d’ardoises et précédé par un mur carré
qui délimitait une cour. À droite, un auvent en bois et une litière de paille
offraient un abri aux chevaux et aux bêtes de somme. Au-dessus de l’entrée
principale pendait une enseigne représentant la sandale dont l’auberge tirait
son nom. Les lieux semblaient déserts. L’homme mit pied à terre et passa sous
la torche qui éclairait l’entrée. Le visage émacié, la barbe hirsute, c’était
Publius Sextius, dit « le Bâton ». Il tendit l’oreille : des
bruits et des voix s’échappaient de la cour.
Il attacha son cheval à un anneau de fer fixé dans le mur et
frappa à la porte avec la garde de son épée. Il réitéra ce geste deux fois,
sans obtenir de réponse. Mais la porte s’ouvrit et il put voir à l’intérieur
des individus munis de lampes réunis à côté de l’écurie. En s’approchant, il
remarqua que la neige, à leurs pieds, était tachée de sang.
Publius Sextius se fraya un chemin jusqu’à ce petit
rassemblement. Un homme était couché sur le sol, le visage dans le fumier, la
nuque entaillée par une large plaie d’où le sang continuait de couler. Il
portait une tunique de laine grise déchirée en plusieurs endroits et
ensanglantée. Des blessures aux bras et aux mains prouvaient qu’il s’était
défendu comme un lion.
Saisi d’un mauvais pressentiment, Publius s’agenouilla auprès
de lui. Il fit signe à un homme de lui donner une lampe et retourna le corps.
C’était le déchargeur. Ainsi il l’avait précédé ! Sans
doute avait-il emprunté des raccourcis qu’il était le seul à connaître et qui
l’avaient conduit à l’heure à son rendez-vous avec la mort.
Ses mains calleuses aux allures de battoirs, ses sourcils
qui se rejoignaient au-dessus de son nez, sa barbe hirsute et ses épaules de
lutteur permettaient d’établir avec certitude son identité.
Il n’était plus à présent qu’une pauvre chose inerte.
Publius Sextius sentit la colère monter en lui. Le cœur
battant, il serra son bâton de vigne luisant et noueux dans son poing. Il
demanda à la ronde dans un grognement :
« Qui a fait ça ? »
Un homme timide et replet, aux yeux aqueux, s’avança. Sans
doute l’aubergiste.
« Deux types sont arrivés du sud, à midi. Ils
s’apprêtaient à repartir, une fois leurs chevaux restaurés, quand s’est
présenté cet homme. Il a fait boire son cheval, pour lequel il a réclamé de
l’avoine et de l’orge. Il a commandé un repas qu’il
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