Les derniers jours de Jules Cesar
sommes
peut-être pas faits pour la politique. Notre place est sur le champ de
bataille. Une fois que tu seras à la tête de tes légions, tu retrouveras force
et confiance en toi. Et moi aussi.
— C’est possible. Telle est toutefois la situation, et
elle ne s’améliorera pas tant que je resterai à Rome. L’absence prolongée de
Silius ne m’aide pas.
— J’ignorais que Silius était absent. Que lui est-il
arrivé ?
— Hier soir, après votre départ, il m’a demandé
l’autorisation de sortir en me laissant entendre qu’il avait un rendez-vous
galant. Je ne me suis pas inquiété, mais il ne s’est plus montré et je ne sais
que penser.
— Il va finir par ressurgir. Il connaît son fait. De
toute façon, nous sommes là, César. Nous sommes à tes côtés et tu sais que tu peux
toujours compter sur nous. Nous nous verrons demain au sénat. »
Tandis que César dévisageait Marc Antoine, la scène des
Lupercales remonta à sa mémoire avec tant de netteté qu’il crut voir entre les
doigts de son interlocuteur la couronne d’or dont il s’apprêtait à le coiffer.
Il lui avait reproché violemment son geste le jour même. Antoine l’avait prié
de l’excuser en prétendant qu’il n’avait pas pris la mesure de la situation.
Le dictateur garda le silence et entra chez lui. Antistius
l’attendait avec sa potion. Calpurnia lui avait fait préparer un bain afin
qu’il se détende avant d’aller au lit.
Un grondement de tonnerre retentit.
Calpurnia s’assit près du bassin. La lumière des lampes
jetait un reflet doré sur ses joues. Dans ce genre de moment, c’était une
compagne douce et suave. Son époux lui caressa la main.
« Antistius est venu avec un garçon, dit-elle.
— Un garçon ? Bizarre. Qui est-ce ?
— Je ne sais pas. Il s’est, semble-t-il, réfugié chez
lui parce que son maître le battait.
— Si Antistius a décidé de le garder, c’est sans doute
pour une bonne raison. Il se mettra en contact avec son propriétaire et le
priera de le laisser tranquille.
— C’est possible. Mais je trouve cela étrange. Tu
devrais lui en parler. »
César passa brusquement à un autre sujet de
conversation : « Connais-tu l’haruspice Spurinna ?
— Oui, de nom. Je ne lui ai jamais adressé la
parole. »
Elle aurait aimé ajouter que cet homme inquiétant faisait
partie du cercle d’une autre femme, sa rivale. Ou plutôt, elle aurait préféré
se taire. Mais elle devina que son époux désirait en parler et elle poursuivit
donc : « On dit que c’est un voyant. Certaines de mes connaissances
le consultent. Pourquoi me poses-tu la question ?
— Je l’ai rencontré l’autre jour », répondit César
non sans hésitation.
La scène ressurgit de sa mémoire, aussi limpide que la
réalité. C’était un des effets de sa maladie : il se retrouvait catapulté
dans un événement du passé au point que sa propre voix lui paraissait
lointaine, comme celle d’un autre homme décrivant ce qu’il voyait. « Il
est épouvantable à voir, avec ses cernes profonds, sombres, son visage creusé,
maigre. »
Puis il n’entendit plus rien. Les lèvres de Spurinna
remuaient devant lui sans émettre le moindre son.
Il secoua la tête comme pour chasser cette vision et saisit
la phrase que Calpurnia prononçait d’un ton angoissé : « Les ides de
mars sont aujourd’hui.
— En effet. »
Ils se turent tous deux. Seul le gargouillement de l’eau
coulant d’une bouche marmoréenne de satyre brisait le silence.
Calpurnia reprit la parole : « Les voyants et les
oracles sont ambigus par nature. Quoi qu’il arrive, ils peuvent toujours
affirmer qu’ils l’ont prédit.
— C’est vrai. Mais pourquoi les ides de mars ?
— Pourquoi pas. Il aurait pu dire n’importe quelle date,
répondit Calpurnia dont la voix trahissait de l’inquiétude.
— Je ne le crois pas. Il pensait à quelque chose de
précis. Je l’ai lu dans ses yeux. Je sais lire dans les yeux des hommes. Je
l’ai souvent fait, j’ai lu de la tension, de la peur, de la mauvaise humeur, de
la résignation dans les yeux de mes soldats et de mes officiers. Un chef doit
savoir lire dans les yeux de ses hommes.
— Il a peut-être vu une infirmité ou la perte d’un être
aimé, ou encore…
— … la perte de tout », conclut César, sombre.
Les prunelles de Calpurnia s’embuèrent. « Je ne
supporte pas ces discours. Je ne suis pas assez forte. J’ai enduré
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