Les derniers jours de Jules Cesar
« Vous rendez-vous compte ?
C’était un homme de confiance de Jules César, et non seulement vous l’avez
presque tué, mais en plus vous n’êtes même pas arrivés à le retrouver.
Qu’est-ce que nous allons faire maintenant, hein ? Dites-le-moi !
— Il fait noir, commandant… Il n’est pas facile de
trouver un homme dans un bois.
— Imbéciles ! Il a dit qu’il lui fallait de
l’argent pour payer le bac. C’est là que vous auriez dû le chercher.
Trouvez-le ! Nous sommes dans les ennuis jusqu’au cou, vous avez
compris ? Adressez-vous à lui de loin. Faites-lui comprendre que c’était
une erreur, que nous avons pour lui une communication importante.
Dépêchez-vous, malédiction ! »
Les hommes repartirent au galop vers la rive. Là non plus,
il n’y avait pas de trace du centurion. Il ne leur resta plus qu’à rebrousser
chemin et avouer leur échec. Des nuages noirs voilaient la lune et le tonnerre
retentit sur la mer, au loin.
Romae,
in insula Tiberis, pridie Id. Mart., prima vigilia
Rome,
île Tibérine, 14 mars, premier tour de garde,
sept
heures du soir
Sur l’île, César fut accueilli par huit coups de tambour et
par le piquet d’honneur qui lui présenta les armes. L’intendant de Lépide le
reçut et le conduisit dans la salle où une trentaine d’invités bavardaient.
Lépide vint à sa rencontre, une coupe de vin à la main. César fut soulagé de ne
voir qu’un nombre restreint de convives : cela signifiait qu’il n’aurait
pas trop à s’attarder. Le repas se déroula calmement : il n’y eut ni
excentricités ni exagération, et la conversation se révéla agréable. Elle
tourna principalement autour de la philosophie. On se demanda si les dieux
existaient et s’ils étaient les mêmes dans le monde entier, s’il y avait divers
aspects d’un dieu unique ou des personnes distinctes, expression des aspects
multiformes de la nature. S’il existait un au-delà où les bonnes actions
étaient récompensées et les mauvaises punies, ainsi que le prétendaient
certains, ou si l’esprit humain était destiné à s’éteindre sans recevoir la
moindre révélation, la moindre vision de la vérité, en s’enfonçant tout
simplement dans l’obscurité infinie et le silence.
Peu à peu, la conversation se concentra sur un sujet encore
plus inquiétant : la mort. Chaque invité en débattit avec élégance et
légèreté.
Soudain, Lépide interrogea : « César, quelle est,
d’après toi, la meilleure mort ? »
César saisit dans ses yeux une expression qu’il ne sut
déchiffrer. Il balaya du regard l’assistance qui attendait sa réponse en
silence. Puis il se tourna vers Lépide et répondit : « Soudaine. Et
inattendue. »
Chapitre XVIII
Viae
Cassiae, ad X lapidem ab Oriculo, Idibus Martiis,
tertia
vigilia
Via
Cassia, dixième mille après Oricoli, 15 mars,
troisième
tour de garde, avant une heure du matin
Loin, sur la via Cassia déserte et flagellée par l’orage,
Rufus galopait, trempé, les cheveux collés au front. Le halètement de son
cheval, le roulement obsédant des sabots sur le terrain, la lumière même des
éclairs l’exaltaient et l’aiguillonnaient. Soudain, le rythme se brisa :
sa monture flanchait. Il tira sur les rênes.
Un éclair illumina un instant la pierre milliaire marquant
la distance qui le séparait de Rome. Il bondit au sol et, immobile sous la
colère du ciel, caressa le nez de l’animal écumant et fumant. Touché par tant
de fatigue, il lui ôta sa bride.
« Adieu, l’ami, et bonne chance », dit-il avant
d’éperonner le second cheval et de plonger dans le mur d’eau. La bête fourbue
hennit et rua avant de s’immobiliser, tête basse.
Romae,
in Domo Publica, Id. Mart., tertia vigilia
Rome,
demeure du grand pontife, 15 mars,
troisième
tour de garde, une heure du matin
César regagna sa demeure en compagnie d’Antoine. Il était
sombre et taciturne.
« Quelque chose t’a-t-il troublé, César ?
interrogea Antoine.
— Non. Mais je ne me sens pas bien. Je suis fatigué.
Depuis un certain temps, je n’arrive pas à dormir suffisamment. Je suis
assailli par les soucis, et les responsabilités me paraissent plus pesantes
qu’auparavant. Je crains de ne pouvoir mener à bien ma tâche, de perdre ma
dignité.
— Je connais cette sensation. Pendant mon consulat,
j’ai commis des erreurs auxquelles je ne me serais pas attendu… Nous ne
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