Les Derniers Jours de Pompéi
n’y a-t-il qu’un dieu !
– Mon frère !
– Oui, si la foi sublime du Nazaréen est vraie ; oui, si Dieu est un monarque, un, invisible, seul ; oui, si ces nombreuses divinités, dont les autels remplissent la terre, ne sont que de noirs démons, qui cherchent à nous détourner de la pure croyance… cela peut être, Ione !
– Hélas ! pouvons-nous le croire ? répondit la Napolitaine ; ou, si nous le croyons, ne serait-ce pas une foi bien mélancolique que celle-là ? Quoi ! ce monde magnifique ne serait que purement humain… les montagnes seraient désenchantées de leurs Oréades… les eaux de leurs nymphes… Cette foi si prodigue, qui place une divinité en tout lieu, qui consacre les plus humbles fleurs, qui apporte de célestes haleines dans la plus faible brise… veux-tu donc la nier, et faire de la terre un rayon de poussière et de fange ? Non, Apaecidès, ce qu’il y a de plus consolant dans nos cœurs, c’est cette crédulité même qui peuple l’univers des dieux. »
Ione répondait comme une personne enivrée de la poésie de la vieille mythologie pouvait répondre. Nous pouvons juger par cette réponse de l’obstination et des durs efforts que le christianisme eut à surmonter parmi les païens. Leur gracieuse superstition ne se reposait jamais. Il n’y avait pas un acte de leur vie privée qui ne s’y associât : c’était une portion de la vie même, comme les fleurs font partie du thyrse. À chaque incident, ils avaient recours à un dieu ; toute coupe de vin était précédée d’une libation ; les guirlandes de leur seuil étaient dédiées à quelque divinité ; leurs ancêtres eux-mêmes, sanctifiés par eux, présidaient comme dieux lares à leur foyer et à leurs appartements. Si nombreuses étaient leurs croyances, que dans leur pays, à cette heure même, l’idolâtrie n’a pas été complètement déracinée : il n’y a eu de changé que les objets du culte. On fait appel à d’innombrables saints dans les lieux où l’on adorait des divinités, et la foule se presse pour écouter avec respect les oracles de saint Janvier et de saint Étienne, au lieu de ceux d’Isis et d’Apollon.
Mais, pour les premiers chrétiens, ces superstitions étaient moins un objet de mépris que d’horreur ; ils ne croyaient pas avec le tranquille scepticisme du philosophe païen, que les dieux étaient les inventions des prêtres ; ni même avec le vulgaire, que, conformément aux vagues lumières de l’histoire, ils avaient été des mortels comme eux. Ils se figuraient que les divinités païennes étaient de malins esprits ; ils transplantaient dans l’Italie et dans la Grèce les noirs démons de l’Inde et de l’Orient ; et dans Jupiter ou dans Mars, ils voyaient avec effroi les représentants de Moloch et de Satan {45} .
Apaecidès n’avait pas encore adopté formellement la foi chrétienne, mais il était sur le point de le faire. Il participait déjà aux doctrines d’Olynthus ; il se figurait que les gracieuses inventions du paganisme étaient les suggestions de l’ennemi du genre humain. L’innocente et naturelle réponse d’Ione le fit frémir. Il se hâta de répliquer avec véhémence, mais pourtant avec tant de confusion, que sa sœur craignit pour sa raison beaucoup plus qu’elle ne fut effrayée de son emportement.
« Ô mon frère, dit-elle, les laborieux devoirs de ta profession ont troublé ton esprit. Viens à moi, Apaecidès, mon frère aimé ; donne-moi ta main, laisse-moi essuyer la sueur qui coule de ton front, ne me gronde pas ; je ne puis te comprendre ; pense seulement qu’Ione n’a pas voulu t’offenser.
– Ione, dit Apaecidès, en l’attirant à lui et en la regardant avec tendresse, puis-je croire que tant de charmes et qu’un cœur tendre soient destinés à une éternité de tourments ?
– Dii meliora ! que les dieux m’en préservent, dit Ione, usant de la formule naturelle à ses contemporains pour détourner quelque funeste présage.
Ces mots, et surtout les idées superstitieuses qui s’y rattachaient, blessèrent les oreilles d’Apaecidès. Il se leva, se parla à lui-même, sortit de la chambre, et s’arrêtant tout à coup, se retourna, regarda tendrement Ione, et lui tendit les bras. Ione courut s’y jeter ; il l’embrassa avec transport et lui dit :
« Adieu, ma sœur ! lorsque nous nous reverrons, tu ne seras plus rien pour moi. Reçois cet embrassement, tout rempli encore des
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