Les Derniers Jours de Pompéi
souvenirs de notre enfance, alors que la foi, l’espérance, les croyances, les habitudes, les intérêts, les objets de ce monde, étaient les mêmes pour nous. Désormais, le lien est rompu. »
Il s’éloigna aussitôt qu’il eut prononcé ces étranges paroles.
C’était là, en effet, la plus grande et la plus sévère épreuve des premiers chrétiens ; leur conversion les séparait de leurs plus chères relations. Ils ne pouvaient plus s’associer à des êtres dont les actions, les paroles les plus ordinaires, étaient pour ainsi dire tout imprégnées d’idolâtrie. Ils frémissaient aux divines promesses de l’amour ; l’amour lui-même n’était plus qu’un démon. C’était leur malheur et leur force. S’ils se séparaient ainsi du reste du monde, ils n’en étaient que plus unis entre eux. C’étaient des hommes de fer qui travaillaient pour l’œuvre de Dieu, et les liens qui les unissaient étaient de fer aussi.
Glaucus trouva Ione en pleurs. Il possédait déjà le doux privilège de la consoler. Il obtint d’elle le récit de sa conversation avec son frère ; mais, dans le peu de clarté qu’elle y mit, et dans le peu de lumières qu’il avait lui-même sur ce sujet, l’un et l’autre ne distinguaient pas bien quelles intentions guidaient la conduite d’Apaecidès.
« Avez-vous entendu parler, demanda Ione, de cette nouvelle secte des Nazaréens dont parle mon frère ?
– J’ai souvent entendu parler de ses adeptes, répondit Glaucus, mais je sais peu de choses de leurs doctrines, si ce n’est qu’elles passent pour être extraordinairement tristes et sévères. Ils vivent à part entre eux ; ils affectent d’être choqués même de nos guirlandes ; ils paraissent, en un mot, avoir emprunté leur sombre et lugubre croyance à l’antre de Trophonius ; cependant, continua Glaucus après un instant de silence, ils n’ont pas manqué d’hommes de valeur et de génie, ni de convertis, même parmi les membres de l’aréopage d’Athènes. Je me souviens très bien avoir entendu dire à mon père qu’un hôte étrange était, il y a déjà longtemps, arrivé à Athènes. Je crois qu’il s’appelait Paul. Mon père se trouva un jour au milieu d’une foule immense qui s’était rassemblée sur une de nos immortelles montagnes pour écouter ce sage de l’Orient. Il ne se fit pas d’abord entendre un seul murmure dans cette multitude. Les plaisanteries, les rumeurs qui accueillent nos orateurs habituels lui furent épargnées ; et, quand ce mystérieux visiteur monta sur le sommet qui dominait l’assemblée, sa figure et son maintien inspirèrent le respect, même avant qu’il eût ouvert la bouche. C’était un homme, au dire de mon père, d’une taille moyenne, mais d’une noble et expressive physionomie ; sa robe était ample et de couleur sombre. Le soleil à son coucher éclairait obliquement sa figure imposante, où régnait un air d’autorité ; ses traits fatigués et fortement marqués indiquaient les vicissitudes de sa vie et la fatigue de ses voyages en divers climats ; mais ses yeux brillaient d’un feu qui n’avait rien de terrestre ; lorsqu’il leva ses bras pour parler, ce fut avec la majesté d’un homme sur qui l’esprit de Dieu est descendu ! « Hommes d’Athènes, dit-il, d’après ce que mon père m’a rapporté, je trouve parmi vous un autel avec cette inscription : Au dieu inconnu. Vous honorez, dans votre ignorance, le Dieu même que je sers. Ce Dieu qui vous est inconnu, je viens vous le révéler. »
« Alors ce voyageur inspiré déclara que le Créateur de toutes choses, qui avait fixé pour l’homme ses diverses tribus et ses diverses demeures, ce maître de la terre et du ciel, n’habitait pas dans les temples élevés par nos mains ; que sa présence, son esprit, étaient dans l’air que nous respirons ; que toute notre vie et notre âme étaient avec lui… « Pensez-vous, s’écria-t-il, que l’invisible ressemble à vos statues d’or et de marbre ? Pensez-vous qu’il ait besoin de vos sacrifices, celui-là qui a fait le ciel et la terre ? » Il parla ensuite des temps à venir, temps redoutables, de la fin du monde, d’une résurrection des morts dont l’assurance avait été donnée à l’homme dans la résurrection de l’Être tout-puissant dont il venait prêcher la religion.
« Quand il en vint là, des murmures se firent entendre, et les philosophes qui s’étaient mêlés au
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