Les Derniers Jours de Pompéi
son nom, même lorsque ses restes mutilés seraient livrés aux éléments ? Lorsqu’il se rappelait son entrevue avec Arbacès, et les désirs de vengeance dont le cœur de cet homme terrible devait être rempli, il ne pouvait s’empêcher de croire qu’il était la victime de quelque mystérieux complot profondément ourdi, dont il cherchait en vain à découvrir la trace : et Ione… Arbacès l’aimait… Le succès de son rival pouvait être fondé sur sa perte. Cette pensée l’affligeait plus que toutes les autres. Son noble cœur était plus tourmenté par la jalousie que par la crainte. Il poussa quelques nouveaux gémissements.
Une voix s’éleva du fond de l’obscurité et répondit à l’accent de sa douleur :
« Quel est mon compagnon dans cette heure terrible ? Athénien Glaucus, est-ce toi ?
– C’est ainsi qu’on m’appelait aux jours de ma fortune et de mon bonheur. On m’appelle sans doute maintenant d’un autre nom. Et quel est ton nom à toi, étranger ?
– Je suis chrétien : ton compagnon de captivité, comme je l’ai été de ton procès.
– Quoi ! celui qu’on appelle l’athée ? Est-ce l’injustice des hommes qui t’a poussé à nier la providence des dieux ?
– Hélas ! répondit Olynthus, c’est toi qui es le véritable athée, car tu nies le seul vrai Dieu… ce grand inconnu auquel tes pères les Athéniens avaient érigé un autel. C’est dans cette heure solennelle que je reconnais mon Dieu : il est avec moi dans mon cachot. Un sourire pénètre mes ténèbres ; à la veille de la mort, mon cœur palpite d’immortalité, et la terre ne s’éloigne de moi que pour rapprocher du ciel mon âme fatiguée.
– Réponds-moi, dit Glaucus brusquement : le nom d’Apaecidès n’a-t-il pas été mêlé au tien pendant le cours du procès ? Me crois-tu coupable ?
– Dieu seul lit dans les cœurs. Mais mon soupçon ne s’arrête pas sur toi.
– Sur qui, alors ?
– Sur ton accusateur, Arbacès.
– Ah ! tu me rends heureux ! Et pourquoi penses-tu ainsi ?
– Parce que je connais le cœur de ce méchant homme, et qu’il avait des motifs de craindre celui qui est mort. »
Olynthus informa alors Glaucus des détails que le lecteur connaît déjà, de la conversation d’Apaecidès, de leur projet de mettre au jour les impostures des prêtres égyptiens, et des séductions pratiquées par Arbacès sur la faiblesse du jeune prosélyte.
« C’est pourquoi, continua Olynthus, si Apaecidès a rencontré Arbacès, s’il lui a reproché ses trahisons, s’il l’a menacé de les rendre publiques, la place, l’heure ont paru propices à la vengeance de l’Égyptien ; la colère et la ruse auront guidé le coup.
– Les choses ont dû se passer ainsi ! s’écria Glaucus avec joie. Je suis heureux.
– Cependant, ô infortuné ! à quoi te sert maintenant cette découverte ? Tu es condamné ; ton sort est décidé ; tu périras dans ton innocence.
– Je saurai du moins que je ne suis pas coupable ; dans ma mystérieuse démence, il me venait des doutes passagers, mais terribles. Mais dis-moi, homme d’une croyance étrangère, penses-tu que, pour de légères erreurs ou pour les fautes de tes ancêtres, nous soyons abandonnés à jamais et maudits par les puissances supérieures, quel que soit le nom qu’on leur donne ?
– Dieu est juste et n’abandonne pas ses créatures à cause de leur fragilité. Dieu est miséricordieux, et il ne maudit que le méchant qui ne se repent pas.
– Cependant, il me semble que, dans un moment de colère divine, j’ai été frappé d’un soudain délire, d’une frénésie étrange et surnaturelle qui ne provenait point de moyens humains.
– Il y a des démons sur la terre, répondit le Nazaréen avec gravité, de même qu’il y a Dieu et son fils dans le ciel ; et, puisque tu ne reconnais pas ceux-ci, les démons peuvent avoir eu prise sur toi. »
Glaucus ne répliqua pas. Ils gardèrent le silence pendant quelques minutes. Enfin l’Athénien reprit, d’un ton de voix ému et doux, avec un peu d’hésitation :
« Chrétien, crois-tu, parmi les dogmes de ta foi, que les morts vivent de nouveau, que ceux qui ont aimé ici-bas soient unis ailleurs ; qu’au-delà du tombeau notre âme sorte des vapeurs mortelles qui l’ont obscurcie aux yeux grossiers de ce monde ; que les flots, divisés par le désert et par le rocher, se rencontrent dans le solennel Hadès, et coulent
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