Les Derniers Jours de Pompéi
m’effraye : viens t’asseoir près de moi quelques instants ; n’aie pas peur que je cherche à m’échapper. Place ton siège contre la porte. Surveille-moi avec attention. Je n’ai pas l’intention de bouger. »
Sosie, qui était considérablement bavard, fut ému de cette requête. Il eut pitié d’une créature qui n’avait personne avec qui causer. C’était aussi le cas où il se trouvait. Il eut donc pitié d’elle, et se décida à se faire plaisir à lui-même. Il profita de l’observation de Nydia, plaça son siège devant la porte, près de laquelle il s’appuya le dos, et répondit :
« Je ne suis pas assez sauvage pour te refuser cela… Je n’ai aucune objection à faire contre une innocente conversation, pourvu que cela n’aille pas plus loin… Mais ne me joue plus de tours, en voilà assez.
– Non, non ; dis-moi, Sosie, quelle heure est-il ?
– Le soir approche… les troupeaux rentrent à la maison.
– Ô dieux ! Et quelles nouvelles du procès ?
– Tous les deux condamnés. »
Nydia réprima un cri.
« C’est bien : je pensais qu’il en serait ainsi. À quand l’exécution ?
– Demain, aux jeux de l’amphithéâtre ; sans toi, petite malheureuse, c’est un plaisir que je pourrais me donner comme les autres. »
Nydia s’affaissa un moment sur elle-même ; la nature cédait malgré son courage ; mais Sosie ne s’aperçut pas de sa défaillance, car il faisait presque nuit et il songeait trop à ses ennuis personnels. Il se lamentait de la privation d’un si délicieux spectacle, et accusait d’injustice Arbacès, qui l’avait choisi parmi les autres esclaves pour le constituer geôlier. Il en était encore à exhaler ses plaintes, quand Nydia reprit connaissance.
« Tu soupires, jeune aveugle, du malheur qui m’arrive dans cette circonstance ? C’est bien ; cela me console un peu. Puisque tu reconnais tout ce que tu me coûtes, je m’efforcerai de ne pas me plaindre. Il est dur d’être maltraité sans inspirer au moins de la pitié.
– Sosie, combien te faut-il pour acheter ta liberté ?
– Combien ? environ deux mille sesterces.
– Les dieux soient loués ! Il ne te faut pas davantage ? Vois ces bracelets et cette chaîne : il valent deux fois cette somme ! Je te les donnerai si…
– Ne me tente pas. Je ne puis te délivrer. Arbacès est un maître sévère et terrible. Qui sait si je n’irais pas nourrir les poissons du Sarnus ? hélas ! tous les sesterces du monde ne me rappelleraient pas à l’existence : mieux vaut un chien vivant qu’un lion mort.
– Sosie, c’est ta liberté, penses-y bien. Si tu veux me laisser sortir une heure seulement, rien qu’une petite heure, à minuit, je reviendrai ici avant l’aurore ; tu peux même venir avec moi.
– Non, dit Sosie avec force ; un esclave a désobéi un jour à Arbacès, et l’on n’a jamais plus entendu parler de lui.
– Mais la loi ne donne pas au maître pouvoir de vie et de mort sur ses esclaves.
– La loi est très obligeante, mais plus polie qu’efficace. Je sais qu’Arbacès met souvent la loi de son côté. D’ailleurs, si je suis mort, quelle loi me ressuscitera ? »
Nydia se tordit les mains. « N’y a-t-il donc aucun espoir ? dit-elle, avec une agitation convulsive.
– Aucun espoir de sortir d’ici jusqu’à ce qu’Arbacès en ait donné l’ordre.
– Eh bien donc, dit Nydia, tu ne me refuseras pas du moins de porter une lettre de moi. Ton maître ne te tuera pas pour cela.
– À qui ?
– Au préteur.
– À un magistrat ? non pas du tout. Je serais appelé en témoignage pour dire ce que je sais, et, avec les esclaves, on procède par la torture.
– Pardon, je ne voulais pas dire le préteur… C’est un mot qui m’a échappé, j’avais dans la pensée une autre personne… Le joyeux Salluste.
– Oh ! quelle affaire as-tu avec lui ?
– Glaucus était mon maître ; il m’a achetée à un cruel patron ; il a toujours été bon pour moi, il va mourir. Je ne serai jamais heureuse, si je ne puis, dans cette heure si terrible de sa destinée, lui faire connaître que j’ai gardé de ses bienfaits un souvenir reconnaissant. Salluste est son ami, il portera mon message.
– Je suis sûr qu’il ne le fera pas. Glaucus a assez à penser d’ici à demain pour ne pas se troubler la tête du souvenir d’une fille aveugle.
– Homme, dit Nydia en se levant, veux-tu être libre ? Tu en as les moyens en ton
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