Les Derniers Jours de Pompéi
entre lui et ses convives habituels, une incommensurable distance que lui avait cachée jusque-là la vapeur décevante des fêtes. Le courage, qu’il lui fallait pour aspirer à Ione, l’élevait à ses yeux ; il comprit qu’il était désormais dans sa destinée de regarder en haut et de prendre un noble essor. Ce nom, qui paraissait à son ardente imagination comme un écho saint, il ne pouvait plus le prononcer devant des oreilles vulgaires. Ce n’était plus la belle jeune fille vue en passant et dont le souvenir passionné était demeuré dans son cœur. Ione était déjà la divinité de son âme. Qui n’a pas éprouvé ce sentiment ? Ô toi, qui ne l’as pas connu, tu n’as jamais aimé.
Aussi, lorsque Claudius lui parla avec des transports affectés de la beauté d’Ione, Glaucus ressentit de la colère et du dégoût que de telles lèvres osassent faire un tel éloge ; il répondit froidement et le Romain s’imagina que cette passion s’était éteinte au lieu de s’enflammer. Claudius le regretta à peine car son désir était que Glaucus épousât une héritière beaucoup mieux avantagée du côté de la fortune, Julia la fille du riche Diomède, dont le joueur espérait voir passer l’or dans ses coffres. Leur conversation ne suivait pas un cours aussi aisé que d’habitude et dès que Claudius l’eut quitté, Glaucus se disposa à se rendre chez Ione. En mettant le pied sur le seuil de sa maison, il rencontra de nouveau Nydia, qui venait d’accomplir sa gracieuse tâche. Elle reconnut son pas à l’instant.
« Vous sortez de bonne heure, dit-elle.
– Oui ; car les cieux de la Campanie ne pardonnent pas qu’on les néglige.
– Oh ! que ne puis-je les voir ! » murmura la jeune fille, mais si bas que Glaucus ne put entendre sa plainte.
La Thessalienne resta quelque temps sur le seuil et guidant ensuite ses pas avec un long bâton, dont elle se servait avec une grande dextérité, elle reprit le chemin de sa demeure. Elle s’éloigna bientôt des rues brillantes de la cité et entra dans un quartier que fréquentaient peu les personnes élégantes et graves. Mais son malheur lui dérobait le grossier spectacle des vices, dont elle était entourée : à cette heure-là, les rues étaient silencieuses et tranquilles et sa jeune oreille ne fut pas choquée par les sons qui se faisaient entendre trop souvent dans les repaires obscurs et obscènes qu’elle traversait patiemment et tristement.
Elle frappa à la porte de derrière d’une sorte de taverne. On ouvrit et une voix rude lui ordonna de rendre compte des sesterces qu’elle avait pu recueillir. Avant qu’elle eût le temps de répondre, une autre voix accentuée d’une façon un peu moins vulgaire dit :
« Ne t’inquiète pas de ces petits profits, Burbo. La voix de la petite sera bientôt redemandée aux riches festins de notre ami et tu sais qu’il paye à un haut prix les langues de rossignols.
– Oh ! j’espère que non… Je ne le pense pas, s’écria Nydia en tremblant. Je veux bien mendier depuis l’aurore jusqu’au coucher du soleil mais ne m’envoyez plus chez lui.
– Et pourquoi cela ? demanda la même voix.
– Parce que… parce que je suis jeune et délicatement élevée et que les femmes avec qui je me trouve là, ne sont pas une société convenable pour une pauvre fille qui… qui…
– Qui est une esclave dans la maison de Burbo » reprit la voix ironiquement et avec un grossier éclat de rire.
La Thessalienne posa ses fleurs à terre et, appuyant sa figure sur ses mains, se mit à pleurer.
Pendant ce temps Glaucus se rendait à la demeure de la belle Napolitaine : il trouva Ione au milieu de ses esclaves qui travaillaient à ses côtés. La harpe était près d’elle car Ione était ce jour-là plus oisive, peut-être plus pensive que d’habitude. Elle lui parut plus belle encore à la lumière du jour et dans sa simple robe qu’à l’éclat des lampes nocturnes et ornée des précieux joyaux qu’elle portait la veille ; une certaine pâleur répandue sur ses couleurs transparentes ne lui fit pas tort à ses yeux, pas plus que la rougeur qui monta à son front lorsqu’il s’approcha. Accoutumé à flatter, il sentit la flatterie expirer sur ses lèvres en présence d’Ione. Il comprit que ses regards en diraient plus que ses paroles et que ce serait amoindrir son hommage que de l’exprimer. Ils parlèrent de la Grèce : c’était un thème sur lequel
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