Les Derniers Jours de Pompéi
trop lourd à porter. Une nature aussi brutale que la sienne s’accommodait mal de ces singeries de la vertu.
Enveloppé dans un de ces larges manteaux que les Romains adoptèrent, à mesure qu’ils abandonnèrent la toge, et dont les amples plis cachaient la taille, pendant qu’une sorte de capuchon qui y était attaché pouvait également cacher les traits, Calénus s’assit dans la petite chambre particulière du marchand de vin, laquelle communiquait par un petit passage avec l’entrée dérobée, habituelle à presque toutes les maisons de Pompéi.
En face de lui, le majestueux Burbo comptait avec soin, sur une table qui était placée entre eux, une petite pile de monnaie que le prêtre venait de tirer de sa bourse : car les bourses étaient aussi communes à cette époque qu’à la nôtre, avec cette différence qu’elles étaient ordinairement mieux garnies.
« Tu vois, dit Calénus, que nous te payons grandement, et tu devrais me remercier de t’avoir procuré un pareil profit.
– Ainsi fais-je, cher Calénus, ainsi fais-je », répondit Burbo d’une manière affectueuse en plaçant la monnaie dans une bourse de cuir, puis la bourse dans sa ceinture, dont il serra la boucle autour de sa vaste taille, plus soigneusement qu’il n’avait coutume de le faire lorsqu’il vaquait à ses occupations domestiques.
« Par Isis, Pisis et Nisis ! ou toute autre divinité qui puisse exister en Égypte, ma petite Nydia est une véritable Hespéride, un jardin d’or pour moi.
– Elle chante bien et joue de la cithare comme une Muse, reprit Calénus, ce sont là des talents que celui qui m’emploie paye toujours généreusement.
– C’est un dieu ! s’écria Burbo avec enthousiasme. Tout homme riche qui est généreux mérite des autels ! Mais allons, mon vieil ami, une coupe de vin. Dis-moi un peu ce qui en est. Qu’a-t-elle fait ? Elle est tout effrayée, elle parle de son serment et ne veut rien révéler.
– Je ne parlerai pas davantage ; j’ai fait aussi le vœu terrible de garder le secret.
– Des serments ! est-ce qu’il y a des serments pour nous autres ?
– C’est bien pour les serments ordinaires ; mais celui-ci… » Et le prêtre hardi frémit à ces paroles. « Cependant, ajouta-t-il en remplissant une large coupe de vin pur, je t’avouerai que ce n’est pas tant le serment que je crains de rompre, mais c’est la vengeance de l’homme qui me l’a imposé que je crains. Par les dieux ! c’est un puissant magicien, il saurait tirer ma confidence de la lune, si j’avais eu la faiblesse de la prendre pour confidente. N’en parlons plus. Par Pollux ! quelque divins que soient les banquets auxquels j’assiste chez lui, je n’y suis jamais à mon aise. Je préfère une heure joyeusement passée avec toi, et avec une de ces bonnes filles, simples et rieuses, que je rencontre dans cette chambre, tout enfumée qu’elle est, oui je préfère une heure pareille à une nuit de ces magnifiques débauches.
– S’il en est ainsi, demain, plaise aux dieux, nous aurons une petite fête ici.
– À la bonne heure ! » dit le prêtre en se frottant les mains et en se rapprochant de la table.
Dans ce moment, ils entendirent un léger bruit à la porte, comme si l’on cherchait à entrer. Le prêtre mit son capuchon sur sa tête.
« Inutile précaution ! dit l’hôte ; ce ne peut-être que la jeune aveugle. »
Nydia ouvrit, en effet, la porte en entrant dans la chambre.
« Ah ! fillette, comment te portes-tu ? Tu es pâle, tu as veillé tard à ce banquet. N’importe ; la jeunesse est toujours la jeunesse », dit Burbo d’un ton encourageant.
La jeune fille ne répondit pas, mais elle se laissa tomber sur un des sièges avec un air de lassitude. Son visage changea plusieurs fois de couleur. Elle frappait impatiemment le pavé avec ses petits pieds. Elle éleva subitement la tête, et dit d’une voix fermement accentuée :
« Maître, vous pouvez me laisser mourir de faim, si vous voulez ; vous pouvez me battre, vous pouvez me menacer de la mort ; mais je n’irai plus dans cette maison infâme.
– Qu’est-ce là, sotte ? » s’écria Burbo d’une voix sauvage, et ses épais sourcils se hérissèrent sur ses yeux courroucés et rouges. « Tu te révoltes, je crois ? prends garde.
– Je l’ai dit, reprit la jeune fille en croisant ses bras sur sa poitrine.
– Alors, ma douce, ma modeste Vestale, si tu ne veux pas y aller, c’est
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