Les Derniers Jours de Pompéi
terrassé son adversaire ; une moitié de l’animal demeure suspendue dans les airs, passive et inoffensive, tandis que l’autre moitié, tête, dents, yeux et griffes, semble ensevelie et engloutie dans les chairs palpitantes du vaincu. Pendant ce temps-là, les gladiateurs élevés et nourris dans le sang, qu’ils suçaient en quelque sorte avec plaisir, entourèrent joyeusement les combattants… Leurs narines s’ouvrirent, leurs lèvres ricanèrent, leurs yeux se fixèrent avidement sur la gorge saignante de l’un et sur les griffes dentelées de l’autre.
« Habet (il a son compte), habet, s’écrièrent-ils avec une espèce de hurlement, et en frottant leurs mains nerveuses les unes contre les autres.
– Non habeo, menteurs (non, je ne l’ai pas, mon compte), cria l’hôte en se délivrant par un puissant effort des mains terribles de Lydon, et, en se dressant sur ses pieds, respirant à peine, déchiré, sanglant, il grinça des dents et jeta un regard d’abord voilé, puis enflammé de courroux, sur son adversaire, qui se débattait (non pas sans mépris) entre les mains de la fière amazone.
« Beau jeu, s’écrièrent les gladiateurs, un contre un ! », entourant Lydon et la femme, ils séparèrent l’hôte aimable de son gracieux habitué.
Mais Lydon, rougissant de sa position, et essayant en vain de se débarrasser de l’étreinte de la virago, mit la main à sa ceinture et en tira un petit couteau. Son regard était si menaçant, et la lame du couteau était si brillante, que Stratonice se recula avec effroi ; car elle n’employait pas d’autre mode de combattre que celle que nous avons appelée pugilat.
« Ô dieux ! s’écria-t-elle, le misérable ! il a des armes cachées ! Est-ce de bonne guerre ? Est-ce là agir en galant homme et en gladiateur ? Non, certes, et de tels compagnons ne sont pas faits pour moi. »
Elle tourna le dos au gladiateur avec dédain, et s’empressa d’examiner l’état de son mari.
Mais celui-ci, aussi accoutumé à cet exercice naturel qu’un bouledogue anglais à se battre avec un antagoniste inférieur, s’était déjà remis. La pourpre ajoutée au cramoisi de ses joues par la lutte s’éteignit un peu ; les veines de son front se dégonflèrent et reprirent leur surface ordinaire. Il se secoua avec un grognement de satisfaction, heureux de se sentir encore vivant, et en regardant son adversaire de la tête aux pieds, avec un air plus approbatif qu’il ne l’avait encore fait :
« Par Castor, dit-il, tu es un gaillard plus vigoureux que je ne le croyais. Je vois que tu es un homme de mérite et de vertu ; donne-moi la main, mon héros !
– Très bien, vieux Burbo ! s’écrièrent les gladiateurs en applaudissant ; très bien, solide compagnon ! Donne-lui ta main, Lydon.
– Avec plaisir, dit le gladiateur ; mais à présent que j’ai goûté à son sang, j’ai envie d’en boire encore.
– Par Hercule, répliqua l’hôte sans s’émouvoir, excellente idée de gladiateur. Pollux ! ce que c’est qu’une bonne éducation ! Une bête sauvage n’aurait pas plus de férocité.
– Une bête sauvage, idiot ! est-ce que nous ne les battons pas, les bêtes sauvages ? cria Tetraidès.
– C’est bien, c’est bien, dit Stratonice, qui était occupée à réparer le désordre de ses cheveux et de sa toilette ; si vous êtes bons amis maintenant, je vous recommande de vous tenir en paix et convenablement : car quelques jeunes patriciens, vos patrons et parieurs, ont envoyé dire qu’ils viendraient vous faire visite ; ils désirent vous voir plus à leur aise qu’ils ne vous voient aux écoles, avant de régler leur enjeu pour le grand combat de l’amphithéâtre. Ils recherchent toujours ma maison pour ces affaires-là. Ils savent bien que nous ne recevons que les meilleurs gladiateurs de Pompéi, société choisie, grâces aux dieux !
– Oui, continua Burbo en vidant une coupe ou plutôt un seau de vin ; un homme qui a conquis autant de lauriers que moi ne peut encourager que les braves. Lydon, bois, mon enfant. Puisses-tu avoir une vieillesse honorable comme la mienne !
– Viens, dit Stratonice à son mari en lui tirant affectueusement les oreilles, caresse que Tibulle a décrite avec tant de charmes ; viens donc.
– Pas si fort, louve ! tu es pire que le gladiateur, murmurèrent les larges mâchoires de Burbo.
– Chut ! lui dit-elle à voix basse ; Calénus vient de se glisser ici,
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