Les Dieux S'amusent
s’aperçoit pas que l’échelle a été retirée et se
brise la colonne vertébrale dans sa chute. Malgré sa hâte de partir, Ulysse
fait à son compagnon des obsèques décentes, en souvenir du service qu’Elpénor
lui a rendu chez les Lestrygons.
En prenant congé de Circé, Ulysse lui demande quelles sont
les épreuves qui l’attendent encore.
— Je suis magicienne et non prophétesse, lui répond
Circé. Mais je peux te donner un conseil : rends-toi aux enfers et
consultes-y le devin Tirésias qui vient de mourir ; il pourra te dévoiler
ton avenir.
Elle indique à Ulysse la route maritime qui conduit à l’entrée
des enfers ; elle lui explique aussi que, pour faire parler Tirésias, il
devra lui offrir le sang d’un bouc noir, breuvage très apprécié des habitants
des enfers. Elle remet à Ulysse un bidon rempli de ce breuvage et lui offre en
outre de nombreux cadeaux d’adieu, avant de le laisser partir à regret.
37. Ulysse aux enfers
À la suite de la
guerre de Troie , les enfers avaient reçu des arrivages si massifs que
les trois juges, Minos, Eaque et Rhadamante, étaient complètement débordés. Les
rôles du tribunal étaient si engorgés que les nouveaux arrivants voyaient
parfois s’écouler plusieurs mois avant que leurs dossiers ne fussent instruits.
En attendant d’être jugés et orientés soit vers les Champs Élysées, soit vers
le Tartare, ils étaient parqués, après avoir traversé le Styx, dans une sorte
de camp de réfugiés où leurs conditions d’existence étaient déplorables. C’est
là que, parmi des ombres innombrables, errait l’âme de Tirésias, le fameux
devin aveugle de Thèbes, récemment décédé.
Grâce aux indications de Circé, Ulysse avait trouvé assez
facilement l’entrée des enfers ; grâce au laissez-passer qu’elle avait
établi à son nom, il avait pu obtenir une place dans la barque de Charon, pour
traverser le Styx, sans avoir à s’inscrire sur les listes d’attente. Mais, lorsqu’il
eut débarqué sur l’autre rive, il eut un moment de découragement : comment
allait-il bien pouvoir trouver Tirésias au milieu de cette cohue ? Comme
il se le demandait, il s’entendit interpeller :
— Mais c’est Ulysse ! s’écriait une voix joyeuse. Que
viens-tu faire ici ? En se retournant, Ulysse reconnaît Elpénor, le soldat
ivrogne, dont l’âme avait franchi, plus rapidement que le navire d’Ulysse, la
distance entre l’île de Circé et les enfers. Ulysse expose à Elpénor le but de
sa visite et l’embarras où il se trouve.
— Ne t’inquiète pas, lui dit Elpénor, qui n’a pas
oublié la conduite amicale d’Ulysse à son égard ; je sais où trouver
Tirésias et je vais te l’amener.
« À quoi tiennent les choses, songe Ulysse : deux
fois j’aurai été sauvé par Elpénor, que j’avais toujours considéré comme une
loque humaine ! »
Les conseils de Tirésias
Quelques instants plus tard, Elpénor est de retour, accompagné
du devin aveugle. Ulysse se présente à Tirésias, lui fait boire un peu du sang
noir qu’il a apporté avec lui et l’interroge enfin sur l’avenir :
— Retournerai-je un jour chez moi ? Reverrai-je
mes parents, mon épouse et mon fils ? Devrai-je affronter encore beaucoup
d’épreuves ?
— Je ne puis répondre à toutes tes questions, lui
répond Tirésias, car les devins eux-mêmes ne savent pas tout. J’ignore si tu
reviendras un jour chez toi et si tu reverras ton père, ton épouse et ton fils.
Je peux te dire cependant que tu reverras ta mère plus tôt que tu ne penses, et
que des épreuves nombreuses te sont encore réservées par le Destin.
— Peux-tu me dire aussi, reprend Ulysse, ce que je dois
faire pour les surmonter ?
Tirésias consent à lui donner quelques conseils.
— Si, au cours de ton voyage, tu débarques dans l’île
du Soleil, qui appartient à, Apollon, prends bien garde de ne pas porter la
main sur ses troupeaux de bœufs, auxquels il tient beaucoup. En le faisant, tu
perdrais sa protection, dont tu as bien besoin. Car un autre dieu puissant, Neptune,
te poursuit d’une haine implacable. Il dressera de multiples obstacles sur ta
route : tu seras exposé aux séductions mortelles du chant des Sirènes ;
il te faudra passer, par un étroit chenal, entre les rocs également redoutables
de Charybde et de Scylla ; et tu devras, plus d’une fois, affronter d’effroyables
tempêtes. Si tu m’en crois, essaie de te retirer dans
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