Les Dieux S'amusent

Prométhée des causes de son supplice, il fut pris de pitié
pour le Titan, qu’il délivra en brisant ses chaînes de ses mains nues.
    Par de telles prouesses, Hercule, au seuil de l’adolescence,
s’était déjà rendu célèbre dans le monde grec ; Thésée était au courant
des exploits de son cousin, et brûlait de les égaler.

Les premiers exploits de Thésée
    Physiquement, Thésée était beaucoup moins fort qu’Hercule, mais,
intellectuellement, il lui était très supérieur. Il avait compris très tôt —
comme devaient le faire trente siècles plus tard les petits lutins Plick et
Plock — qu’il faut « réfléchir avant d’agir », et il employait
plus volontiers les ressources de l’intelligence que la force brutale. Cependant,
il n’était pas timoré et, comme il avait un sens élevé du devoir, de la gloire
et de l’amitié, il fut souvent conduit, comme Hercule, à prendre de grands
risques et à affronter de graves dangers.
    C’est lorsqu’il eut seize ans que sa mère lui dit qui était
son père et lui montra le rocher sous lequel Égée avait caché son épée. Thésée
s’efforça en vain de le soulever par la seule force de ses bras. Une idée lui
vint : glissant l’extrémité d’un pieu entre le sol et le rocher, il exerça
une poussée de haut en bas sur l’autre extrémité du pieu, et parvint ainsi à
déplacer le rocher.
    Plus de mille ans avant Archimède, il venait d’appliquer, pour
la première fois, le principe du levier.
    Armé de l’épée de son père, il se mit en route pour Athènes.
    La région qu’il devait traverser était infestée de brigands
et d’assassins, dont deux étaient particulièrement redoutables.
    Le premier, nommé Sciron, passait ses journées assis sur un
tabouret à un mètre d’un précipice profond auquel il faisait face. Lorsque
apparaissait un voyageur, il le priait poliment de lui laver les pieds et, dès
que le voyageur s’était agenouillé devant lui, il le projetait d’un coup de
pied dans le précipice. Thésée fit mine de se prêter à ce manège ; mais, au
moment où Sciron lui tendait la jambe, il s’en saisit vivement, roula sur le
dos et, dans un mouvement bien connu des judokas, fit basculer Sciron au-dessus
de lui, droit dans le précipice.
    Le second brigand était le plus célèbre. Il s’appelait
Procuste et était fils de Neptune, lequel, comme je vous l’ai déjà dit, n’avait
pas de chance avec ses enfants. Procuste s’était fait construire, par Vulcain
lui-même, un lit de fer extensible qu’il pouvait en quelques instants allonger
ou raccourcir. Lorsqu’il voyait venir un voyageur, Procuste évaluait rapidement
sa taille ; si le voyageur était petit, Procuste agrandissait le lit au
maximum ; si le voyageur était grand, il réduisait au contraire le lit à
sa plus petite dimension. Procuste invitait ensuite le voyageur à se coucher
sur le lit et, sous prétexte de bien les ajuster l’un à l’autre, tantôt il
coupait la tête des voyageurs trop grands, tantôt il étirait les pieds des
voyageurs trop petits jusqu’à leur rompre la colonne vertébrale. Dans le cas de
Thésée, qui était grand, Procuste réduisit la taille du lit. Mais Thésée, qui
avait consacré de longues heures à l’étude de la géométrie, savait que la
diagonale d’un rectangle est nécessairement plus longue que son plus grand côté
et se coucha en biais dans le lit, déjouant ainsi le calcul de Procuste. Comme
celui-ci, désemparé, se penchait au-dessus du lit pour tenter de comprendre le
mystère, Thésée lui coupa le corps en deux parties rigoureusement égales qui, par
une curieuse coïncidence, se trouvèrent avoir exactement la dimension de la
largeur du lit.
    Lorsque Thésée arriva à Athènes, le bruit de ses exploits l’avait
précédé, mais personne ne savait qu’il était le fils d’Égée.
    Thésée se rendit au palais de son père, qui lui fit un
accueil courtois. Mais Égée se méfiait de cet étranger célèbre, en qui il
voyait un rival possible. Il prépara un breuvage empoisonné qu’il versa dans
une coupe. Au cours d’un banquet donné en l’honneur du jeune héros, Égée tendit
la coupe empoisonnée à Thésée, se leva et porta un toast :
    — Levons nos verres à la santé de notre hôte, dont l’épée
nous a débarrassés de redoutables bandits.
    — Cette épée, lui répondit Thésée avant de boire, est
désormais à ton service, et il la tendit à