Les Dieux S'amusent

événements de son siècle ; j’ai nommé
Nestor.
    Nestor était alors dans la fleur de l’âge, mais déjà se
manifestait chez lui, parmi de nombreuses qualités intellectuelles et morales, une
certaine propension au bavardage qui, avec le temps, deviendrait caricaturale
et légendaire. Pendant le repas nuptial, Nestor mit le grappin sur Pirithoüs et
Thésée, et sut si bien captiver leur attention par ses interminables récits qu’ils
ne remarquèrent pas l’arrivée discrète, dans la salle du banquet, d’une bande
de « loubards » qui étaient venus sans être invités. Ces intrus
étaient les Centaures, créatures vigoureuses et violentes ayant un tronc d’homme
sur un corps de cheval. Profitant de l’inattention de Pirithoüs, les Centaures,
excités par le vin, commencèrent par importuner sa jeune épouse puis, tout à
coup, tentèrent de l’enlever de force. Enfin alertés par les cris de la jeune
femme, Pirithoüs, Thésée, Nestor et les autres convives se portèrent à son
secours, et un effroyable combat s’engagea. Les Lapithes finirent par l’emporter
sur les Centaures, mais, au cours de la bataille, la femme de Pirithoüs mourut.
Thésée, une nouvelle fois, dut jouer les consolateurs.
    Il fut si persuasif que, quelques jours plus tard, Pirithoüs
décidait de se remarier. Pour être sûr que, cette fois, personne ne tenterait
de lui enlever son épouse, il eut l’idée saugrenue de se marier avec la femme, ou
plutôt la déesse, la mieux protégée du monde : Proserpine, femme de Pluton
et déesse des enfers. Malgré l’absurdité d’un tel projet, Thésée, qui à cette
époque de sa vie semble ne pas avoir été dans un état tout à fait normal, accepta
d’accompagner son ami dans un voyage aux enfers.

La chaise de l’oubli
    Au cours de leur voyage, ils passèrent par Sparte et
décidèrent de rendre visite au roi de la ville, Tyndare. Ce nom doit vous dire
quelque chose. Tyndare était le mari, ou plutôt le veuf de Léda, cette reine
avec qui Jupiter avait eu une liaison et qui en mourant avait donné le jour à
deux filles, Hélène et Clytemnestre, et à deux fils, Castor et Pollux. Lorsque
Thésée et Pirithoüs se présentèrent au palais de Tyndare, le roi n’y était pas,
ni ses fils. Mais Hélène, alors âgée de dix ans, s’y trouvait. Thésée ne l’eut
pas plus tôt regardée qu’il devina que cette charmante enfant deviendrait
quelques années plus tard la plus belle femme du monde.
    « Il faut que je me la réserve », pensa-t-il.
    Et, avec l’aide de Pirithoüs, il l’enleva.
    Ce premier enlèvement d’Hélène, moins connu que le second
que je raconterai plus tard, me paraît cependant profondément révélateur. Il
montre combien, en matière amoureuse, le destin des femmes se répète : certaines
d’entre elles paraissent ne pouvoir tomber amoureuses que de gigolos bons à
rien ; d’autres, de vieux messieurs qui pourraient être leur père ; d’autres
encore semblent condamnées à être toujours abandonnées par leurs amants ; Hélène,
pour sa part, avait une propension, sans doute inconsciente mais irrésistible, à
l’enlèvement.
    Son premier enlèvement n’eut cependant pas de graves
conséquences. Placée par Thésée sous la garde d’une vieille paysanne, Hélène
fut bientôt libérée et ramenée chez elle par ses deux jeunes frères, Castor et
Pollux.
    Thésée et Pirithoüs, cependant, étaient arrivés au royaume
de Pluton. L’accès des enfers était normalement réservé, d’une manière
exclusive, aux morts. Mais l’aplomb et l’inconscience des deux visiteurs
étaient tels que, on ne sait trop comment, ils franchirent tous les contrôles
et se retrouvèrent enfin dans la chambre conjugale de Pluton et de Proserpine. Pluton
songea d’abord à punir de mort l’insolence des deux visiteurs ; puis, sur
l’intervention de Proserpine, il consentit à réduire la peine : il les fit
asseoir dans des chaises qu’on appelait « chaises de l’oubli » et qui
avaient la propriété de rendre leurs occupants complètement amnésiques. À peine
y avaient-ils pris place que Thésée et Pirithoüs perdirent jusqu’au souvenir de
leur propre identité.

13. Les travaux d’Hercule
    Sur le conseil de
Thésée , Hercule, désireux d’expier le crime qu’il avait commis sous l’empire
de l’ivresse, était allé se mettre au service de son cousin, Eurysthée. Celui-ci,
roi de Mycènes, était un personnage intéressé et