Les Dieux S'amusent
laisser tenter, et parmi eux
Palamède, le rival et l’ennemi d’Ulysse. C’est l’occasion qu’attendait Ulysse
pour se venger de Palamède. Il se lève et demande la parole.
Ulysse était un orateur consommé. Lorsqu’il s’apprêtait à
prononcer un discours, il s’avançait à pas lents vers la tribune, la tête
rentrée dans ses larges épaules, les sourcils froncés, l’air concentré. Sans se
presser, il adoptait l’attitude corporelle recommandée par les professeurs d’expression
orale, afin d’utiliser au mieux sa capacité pulmonaire et de déployer
pleinement la puissance de ses cordes vocales : le poids de son corps
reposait pour les deux tiers sur la jambe droite et pour un tiers sur la gauche,
avancée de vingt centimètres ; le buste, légèrement penché en arrière, faisait
avec la verticale un angle de quinze degrés ; les mains étaient jointes
derrière le dos, à la hauteur de la troisième vertèbre lombaire ; le
menton pointait légèrement en avant et les yeux parcouraient lentement l’auditoire.
Lorsqu’un silence complet s’était établi, Ulysse commençait à parler d’une voix
grave, qui prenait ensuite, selon les périodes oratoires, des accents
passionnés ou ironiques ; les paroles ailées s’échappaient de ses lèvres, légères
et serrées comme des flocons de neige, et venaient retomber sur son auditoire
subjugué.
Le discours accusateur qu’Ulysse prononça contre Palamède
figure dans toutes les anthologies de l’éloquence politique et n’a donc pas
besoin d’être retranscrit ici. Il peut d’ailleurs être résumé en trois phrases :
« Palamède est un traître. Il s’est laissé acheter par Priam. Et la preuve,
c’est qu’il dissimule, sous son lit, un sac de pièces d’or que lui a remis
Priam pour s’assurer de son soutien. » Palamède proteste de son innocence
et propose à Agamemnon de venir fouiller sa tente. Il ignore que, quelques
jours plus tôt, Ulysse lui-même, qui préparait déjà son coup, a caché un sac d’or
à l’emplacement indiqué. Le sac est découvert, la culpabilité de Palamède
apparaît certaine. Malgré ses protestations, il est condamné à mort et exécuté
sur-le-champ. Quant à la proposition de Priam, elle est repoussée sèchement.
— Puisque les Grecs ne veulent pas entendre raison, il
ne nous reste plus qu’à les chasser par la force, déclare Hector.
Il rassemble ses troupes et sort des remparts à leur tête, avec
une ardeur décuplée par l’humiliation que lui a infligée Ulysse quelques jours
plus tôt en volant le Palladion. La charge des Troyens est si furieuse que les
lignes grecques plient sous le choc. Aucun chef grec, pas même Diomède ou Ajax,
ne parvient à arrêter l’élan d’Hector. Ajax appelle alors son frère Teucer, le fameux
archer :
— Abrite-toi sous mon bouclier et tâche de tuer ou de
blesser Hector, lui ordonne-t-il.
Teucer s’agenouille et bande son arc, cependant qu’Ajax
tient son lourd bouclier au-dessus de la tête de son frère. Mais Hector a vu le
danger. Il ramasse une grosse pierre et la projette sur le bouclier, qui tombe
sur Teucer et le blesse grièvement. Ajax se replie, emportant sur ses épaules
son frère évanoui. Le recul des Grecs se transforme alors en déroute ; leurs
troupes refluent en désordre vers leur camp et se mettent à l’abri derrière le
fossé et la palissade, qui les sauvent d’une défaite imminente. Heureusement
pour eux, le jour tombe. Hector arrête ses troupes en leur disant :
— Demain, nous finirons la tâche et jetterons les Grecs
à la mer. En attendant, allons restaurer nos forces par un repas copieux et une
nuit de repos.
Chez les Grecs, l’inquiétude règne. Agamemnon lui-même a
perdu courage. Une fois de plus, il réunit les chefs grecs.
— Mes amis, leur dit-il, je vois que nous ne gagnerons
jamais cette guerre et que nous risquons même la défaite. Ne serait-il pas plus
sage de mettre un terme à cette expédition qui nous retient depuis si longtemps
loin de notre pays et de nos familles ? Si vous en êtes d’accord, je vous
propose de nous rembarquer cette nuit même sur nos vaisseaux et de retourner
chez nous.
Un silence étonné suit cette déclaration. Mais bientôt
Diomède réagit violemment :
— Fais ce que tu voudras, dit-il, pour ma part, je
reste et je continuerai la lutte jusqu’au bout.
Ménélas, Ajax et Ulysse approuvent cette attitude courageuse.
Et Nestor prend à son
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