Les dîners de Calpurnia
C'était un prénom rare. Aprés la femme de Jules César, la niéce de Sevurus l'avait tellement marqué de sa personnalité
sensible et exigeante que les amis du Vélabre imaginaient mal une seconde Calpurnia s'intégrer à leur groupe.
- J'ai h‚te de découvrir mon double, glissa l'" ancienne " à l'oreille de son mari. Sa jeunesse - ce doit être un bébé pour que Pline ait insisté sur son ‚ge - me fait peur. Te rends-tu compte que tu as maintenant une vieille femme ? Sais-tu que j'aurai cinquante ans l'an prochain ?
- Tais-toi. Même s'il nous présente une petite fille d'Aphrodite, juvénile beauté sortant de l'écume des vagues, je te préfére, ma divine, à toutes les autres Cal-265
purnia de l'Empire. Pour moi tu es toujours la plus belle et la plus jeune.
Mais, la voilà...
Pline arrivait dans le grand atrium o˘ tout le monde s'était rassemblé
avec, à son bras, la femme-enfant annoncée. Elle était petite mais admirablement faite, élégante dans un péplum blanc au décolleté étudié ; son joli visage, moins enfantin que sa silhouette, laissait percer de la finesse et son regard, une certaine ironie. La jeunette, loin d'être empruntée, semblait s'amuser de l'effet qu'elle produisait sur les amis de son mari.
- Non seulement elle est jeune, mais elle n'est s˚rement pas idiote ! dit Calpurnia à Martial qui se trouvait à côté d'elle. Elle ne te rappelle personne ?
- Si. La súur des trois Gr‚ces qui, jadis, apparaissait et disparaissait en dansant dans les fleurs du jardin du Vélabre. Celer, tout à ses dessins et à ses calculs, ne la voyait pas. Moi, j'en étais amoureux, mais c'est un autre poéte qui eut sa préférence... Ah ! Elle était plus jolie que la fillette de Pline !
- Tais-toi. Pour un peu tu me ferais pleurer sur mes charmes passés. Dis-moi plutôt que j'en ai quelques beaux restes ! Mais viens, Pline est en train de présenter l'oiseau rare.
- Calpurnia, disait-il à la ronde, est belle, comme sa célébre homonyme.
Cela, je n'ai pas besoin de vous le dire, vous le voyez vous-même. Mais elle a bien d'autres qualités. Calpurnia...
- ... la Jeune ! coupa l'aînée.
L'interruption fut saluée par des rires et des approbations. L'intéressée rit franchement, applaudit tandis que Pline s'embrouillait un peu dans son éloge appuyé avant de continuer :
- Calpurnia la Jeune a beaucoup de finesse, beaucoup de tenue, elle a aussi le go˚t des lettres que lui dicte sa tendresse à mon égard. Le croirez-vous ? Mes ouvrages sont entre ses mains. Elle les lit, les relit... que d'angoisse quand elle me voit à la veille de plaider, quelle joie lorsque c'est chose faite ! quand je donne une lecture publique, 266
elle y assiste derriére un rideau et épie d'une oreille avide es compliments qui me sont faits...
- Je croyais que nous étions venus entendre le pané-"ryrique de l'Empereur ! susurra Juvénal à son complice Martial.
- Eh oui ! Voilà o˘ méne l'amour à partir d'un certain ‚ge ! répondit Martial. Nous avons bien fait de rester célibataires.
Mais Pline avait l'habitude du prétoire et savait com-
ïnent on termine une plaidoirie.
- Pour mes vers, s'écria-t-il, elle compose des mélodies et des accompagnements à la cithare. Toute cette conduite m'inspire l'espoir plein de confiance que notre amour réciproque grandira de jour en jour. Car ce qu'elle .lime en moi, ce n'est ni la jeunesse, ni la beauté qui vont
- évanouissant et se flétrissant, mais la gloire.
La scéne était attendrissante, un peu ridicule. La jeune remme devait le sentir. Elle entraîna en souriant l'assem-olée vers la salle à manger o˘
des montagnes de bonnes choses attendaient, savamment dressées sur des plats d'or et d'argent. Ce n'était pas la douce et amicale euphorie du Vélabre, mais l'on n'en était pas trés éloigné. Pline savait vivre aussi pour ses amis.
Aprés le déjeuner, qui fut gai, le maître de maison proposa à ses invités de faire le tour du propriétaire :
- Passons la porte, commença-t-il, nous voici, à gauche, dans une grande chambre à coucher, puis dans une autre, plus petite. Dans la premiére une fenêtre donne accés au soleil levant, dans la seconde une autre retient le soleil couchant. Ce sont mes quartiers d'hiver. Les rayons du soleil y accumulent de la chaleur. C'est aussi, plus loin, le gymnase de mes gens...
Pline fit visiter ensuite d'autres piéces, une bibliothéque ménagée dans un mur, puis encore une chambre
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