Les dîners de Calpurnia
et à la civilisation romaines !
- Mais je ne suis réfractaire à rien du tout ! Dans nos priéres nous n'oublions jamais l'Empereur et nous suivons la loi romaine à la lettre !
- Peut-être mais tu vas être recherchée et une plainte va être instruite contre toi. Combien de fois t'avons-nous prévenue et suppliée d'être prudente !
- C'est une histoire idiote ! Jamais on ne poursuivra la fille du grand Sevurus, la femme des b‚tisseurs de l'amphithé‚tre Flavien !
- Ce n'est pas l'avis de Pline. C'est lui qui m'a dit de te prévenir. Il viendra te parler demain matin et pense que la menace est grave. Et ce n'est pas tout : Terentia aussi est menacée !
- Eh bien, que l'on me prenne et que l'on me livre aux bêtes ! s'écria la jeune femme qui venait d'entrer et avait entendu.
- Tais-toi ! dit Rabirius. Il y a s˚rement quelque chose à tenter. Pline a du pouvoir et il va nous aider... Mais qu'avez-vous fait toutes les deux pour déclencher une telle affaire ? Les chrétiens sont nombreux à Rome et on les laisse tranquilles...
- Sauf s'ils sont nobles ou font partie de l'élite, dit Juvénal. On supporte les croyants plébéiens mais on craint la conversion des Romains importants de peur qu'ils ne donnent le mauvais exemple.
272
I
- Tout cela vient de la derniére réunion à laquelle nous nous sommes rendues, Terentia et moi. C'était dans les catacombes, il y avait beaucoup de fidéles qui ont partagé le repas sacré en présence de Théophore, l'évêque d'Antioche de passage à Rome1. A la fin, celui-ci nous a recommandé d'être discrets car il savait que des ennemis du Christ essayaient de se mêler aux fréres et aux súurs pour les dénoncer.
- Et maintenant, si l'on vous demande d'abjurer, de déclarer que vous n'êtes pas chrétiennes et que vous célébrez les dieux romains, que répondrez-vous ? demanda Juvénal.
- Je refuserai, j'affirmerai ma croyance sans craindre d'être condamnée !
répondit aussitôt Terentia.
- Moi je ne sais pas ce que je dirai... dit Calpurnia. Ce n'est pas que je tienne tellement à la vie mais j'ai un mari que j'aime et qui, lui, n'est pas chrétien.
- Enfin, Pline sera là demain à huit heures. Il vous en dira plus, conclut Juvénal qui annonça qu'il allait rentrer.
- Rentrer à pied à cette heure ? il n'en est pas question. Tu vas coucher ici, dit Calpurnia.
La maîtresse du Vélabre était, comme pouvaient s'y attendre ceux qui la connaissaient, demeurée sereine. Une fois de plus elle sentait que l'orage menaçait et que l'équilibre de la maison reposait sur elle. Elle accompagna Rabirius, anéanti, jusqu'à la chambre et revint prés de Juvénal.
- Si tu veux, nous allons boire une coupe de vin et réfléchir. J'ai besoin de parler. Je pressens un désastre dont je serai seule responsable.
J'espére tout de même que Pline va pouvoir nous tirer de ce mauvais pas.
- Il va essayer, c'est s˚r. Je pense qu'il y réussira en partie mais que le réglement de l'affaire nécessitera des sacrifices...
1. Surnom de celui qui deviendra saint Ignace, l'un des premiers péres de l'Eglise. Disciple de saint Pierre, il aurait subi le martyre à Rome en l'an 107.
273
- Tu penses à la maison, à la famille, à la réputation de Rabirius ?
- Oui. Tu sais qu'à Rome il n'existe pas de situation stable. Nous en avons vu des sénateurs puissants, des préfets irremplaçables, des chevaliers influents, des courtisans écoutés, des conseillers importants se retrouver subitement nus ! Les empereurs, eux-mêmes, ont quelquefois valsé comme des sans-grade. Le poison et le poignard faisaient la loi il n'y a encore pas si longtemps sur les marches du pouvoir...
- Et la maison du Vélabre a été jusqu'ici une exception ! C'est ce que tu allais dire, n'est-ce pas ?
- Oui, sa notoriété, son influence, les talents qu'elle a abrités l'ont fait survivre à toutes les crises, à toutes les jalousies, à tous les arbitraires. La famille de Sevurus a traversé le temps, c'est un miracle, dans l'orbite impériale !
- Et tu crois que mes affinités chrétiennes vont sonner la fin de cette vie privilégiée ?
- Je n'en sais rien. Attendons demain. Pline nous apportera des nouvelles.
- Crois-tu que l'on va nous arrêter, comme de vulgaires criminels ?
- J'espére bien que non ! Maintenant, va retrouver ton b‚tisseur. Je suis s˚r, c'est un comble, que c'est toi qui devras le réconforter !
Pline, ami fidéle et homme pressé, descendit de sa litiére à
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