Les dîners de Calpurnia
pesante.
- Le temps n'est plus aux reproches, pas même à l'indignation, commença Calpurnia. Je vous ai dit sur-le-champ ce que je pensais. J'étais frappée, bafouée et j'avais besoin de réfléchir. Aujourd'hui je peux vous écouter.
Terentia, qu'as-tu à dire avant de quitter ta mére, peut-être pour toujours ?
- La vérité ! Vérité qui me fait honte mais qui est l'aboutissement d'une situation stupide. Tu m'avais demandé, maman chérie, d'aider Rabirius qui avait besoin d'attentions et de tendresse aprés son injuste destitution. Je me suis donc efforcée d'être gentille. Il s'est confié à moi et je l'ai plusieurs fois consolé alors qu'il pleurait et disait qu'il allait se suicider. " Merci de me
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donner un peu de tendresse, me disait-il. Calpurnia, je le sais, veut m'aider, mais elle me répéte de me secouer, affirme que je n'ai pas de raison d'être malheureux et que je dois cesser de me comporter comme un enfant. Elle m'aime trop pour me comprendre... " Et il ajoutait : " Toi seule réussis à me calmer. Ta main sur mon front m'enléve mon angoisse... "
- C'est vrai ? demanda Calpurnia en se tournant vers Rabirius.
- Oui... J'ai toujours considéré Terentia comme mon enfant et il est certain que mon malheur nous a rapprochés. Mais la douceur qu'elle m'a témoignée n'a jamais dépassé des limites décentes et je t'affirme, crois-moi si tu veux, que sans elle je n'aurais jamais repris le travail.
Terentia, c'est vrai, m'embrassait lorsque tu es arrivée à l'improviste, mais comme une fille peut embrasser son pére.
Calpurnia ne broncha pas et serra les lévres. L'image que conservait sa mémoire n'était pas celle d'un baiser filial et pudique.
- Et que se serait-il passé si je ne vous avais pas surpris ? demanda-t-elle.
- Mais rien ! répondirent ensemble Terentia et Rabirius.
Leur air étonné aurait d˚ convaincre Calpurnia. Ce ne fut pas tout à fait le cas mais elle avait décidé d'oublier :
- Nous ne reparlerons jamais de tout cela, dit-elle. C'est une gr‚ce que Petronius n'ait pas été présent. Il aurait souffert. Moi j'ai envie de reprendre mes repas dans le triclinium. Je vais inviter Juvénal à la derniére soirée romaine de nos deux voyageurs. Ce n'est pas facile pour une mére, tu sais, Terentia, de voir partir sa fille !
- Merci, maman, d'avoir compris. Tu es bonne et généreuse ! Nous allons être séparées, c'est vrai, mais je voudrais que nous choisissions une heure pour nous unir chaque jour en priéres.
- Je n'ai jamais dit que j'avais compris votre trahison Je l'oublie, ce n'est pas pareil !
- On ne fait pas beaucoup attention à ce que je dis, lança Rabirius, mais crois-moi, Calpurnia : je mourrais si je devais être séparé de toi.
Sans Terentia, sans Petronius, sans Martial, la vie au Vélabre avait baissé
d'un ton. Le poéte malade et vieilli avait quitté Rome pour regagner, fidéle à son enfance, le village de Bilbilis en Espagne Tarraconaise. Il avait vendu le petit domaine qu'il possédait à Nomentum, prés de Rome, et s'était installé dans la maison que lui avait cédée Marcella, l'une de ses admiratrices. Pline, toujours généreux, lui avait fourni l'argent du voyage1.
Il restait Juvénal, pour lequel on dressait encore souvent un troisiéme couvert, mais Calpurnia avait perdu son humour et Rabirius ne parlait plus de son travail. Lui qui ne tarissait pas d'anecdotes et de commentaires au temps o˘ il construisait les thermes de Domitien ou l'arc de Titus, il se serait cru déshonoré d'évoquer devant les siens les occupations triviales auxquelles il était maintenant astreint.
- Mon pauvre Juvénal, disait Calpurnia, tu es bien bon de continuer à
fréquenter le Vélabre. Je te l'ai déjà dit : la maison a perdu son ‚me !
- Et les souvenirs ? que fais-tu de nos souvenirs, de nos joies, de nos ivresses ? Et les disparus ? Ne faut-il pas continuer de penser à eux dans la gaieté ? Le Vélabre est peut-être en sommeil mais il est vivant, rempli des odeurs du jardin o˘ les arbres continuent de grandir. Je ne suis pas devin, mais je suis s˚r que la maison de Sevurus se réveillera. Tu m'as dit toi-même que ce sera Petronius qui la tirera de son sommeil. Et qui alors retrouvera son enthousiasme, son esprit et sa joie de vivre ? Toi, ma 1. Martial a laissé un tableau paradisiaque de sa propriété. Pourtant, des écrits postérieurs montrent que le poéte regretta souvent d'avoir quitté la Ville o˘ soufflait
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