Les dîners de Calpurnia
d'être sculpteur. Il a travaillé un an à Ostie et s'est familiarisé avec le marbre.
- Pline m'a dit en effet qu'il était doué. Il cherche, dit-on, un professeur ?
- Oui. Mais je voudrais qu'il te parle lui-même de sa vocation. Peut-il aller te voir ?
- Naturellement. qu'il se présente à mon atelier des jardins des Annii.
- Merci. Veux-tu nous faire le plaisir de venir dîner un soir au Vélabre ?
Le cercle qui nous réunissait n'est plus ce qu'il était mais je voudrais renouer, partiellement, avec nos bonnes habitudes.
- J'avais dix-huit ans lorsque je suis venu à Rome et l'une des premiéres choses dont j'ai entendu parler lors d'une réunion d'artistes et de poétes était la maison du Vélabre, lieu magique o˘ soufflait l'esprit, inaccessible au commun des mortels. C'est te dire combien je serai heureux de venir.
quand Apollodore fut parti, Calpurnia s'allongea sur la banquette de l'atrium et réfléchit. " Cette visite ne s'est pas du tout déroulée comme je le pensais. Je m'attendais à un individu hautain, infatué, fier de sa promotion, qui se devait de rendre visite à la veuve éplorée de celui qu'il avait supplanté. Et j'ai découvert un homme aimable, plein de prévenances.
Et beau de sa personne ! Pour un peu je me prenais à rêver et à me dire qu'il ferait un amant désirable ! Comme si un personnage de sa qualité, qui vit peut-être d'ailleurs entre sa femme et quelque jeune et beau giton, allait s'embarrasser d'une vieille dame juste bonne aujourd'hui à
entretenir ses rosés et ses dahlias ! " Elle éclata de rire, ce qui surprit Ceria, venue lui demander quelles viandes et quels poissons elle devait acheter le lendemain au marché.
- Cela fait plaisir, Calpurnia, de te voir joyeuse, dit-elle.
- Il y a des jours comme cela. Et des jours o˘ tout vous 319
semble triste et noir. Tu veux savoir pourquoi je riais toute seule, comme une pauvre folle ? Eh bien, je riais de me voir vieillir !
En attendant de commencer vraiment son apprentissage de sculpteur, Petronius avait repris sa vie de jeune homme aisé entre l'université o˘ il suivait des cours de dessin, la palestre o˘ il jouait à la balle et le portique aux Cent Colonnes o˘, sous les platanes de Pompée, se réunissaient chaque fin d'aprés-midi les jeunes Romains.
C'est là qu'il avait connu Lucinus, fils aîné d'un herboriste qui avait fait fortune en exploitant les terres de famille qu'il possédait dans le Latium. Sur les bords du lac Braccianus s'épanouissaient rosés, gentianes, gardénias, joubarbes et seringas, toutes fleurs odorantes dont les habitants écrasaient les pétales pour en extraire un élixir précieux qui avait la réputation de guérir de nombreuses maladies et d'entretenir la peau délicate des dames. Julius Lucinus avait eu l'idée de vendre ce produit de santé et de beauté dans les officines pharmaceutiques et les thermes de Rome. Il était riche aujourd'hui et briguait une fonction d'édile curule.
Son fils Lucinus commençait des études de médecine pour lui succéder un jour. C'était un esprit curieux, avide de connaissance, qui lisait les poétes et les philosophes. Il engageait Petronius à partager cette fringale de savoir et lui faisait découvrir les auteurs qu'il aimait. Au début, il ne voulait pas croire que son ami avait connu Martial, que Juvénal l'avait tenu bébé sur ses genoux et que Pline fréquentait sa maison. Puis, comme Petronius, amusé, lui avait promis de lui faire rencontrer ces grands hommes, ses doutes s'étaient mués en admiration.
Depuis le retour de Petronius, les deux amis ne se quittaient guére. La sympathie qui les liait devenait de l'amitié. Assis sous les bosquets du forum d'Auguste, ils échangeaient des livres de Sénéque et d'Ovide. La grande affaire était alors à Rome la publication du dernier ouvrage de Plutarque, un historien et moraliste grec que
Trajan admirait et qu'il avait fait nommer archonte en Béotie, son pays natal.
Lucinus avait acheté le livre et en lisait des passages à son ami. C'était Erotikos ou le Dialogue sur l'Amour. Plutarque, dans une écriture vivante, anecdotique, y examinait sous la forme d'un dialogue entre amis philosophes les subtiles influences de l'amour sur les hommes, ses rapports avec le plaisir, la guerre, la vie de tous les jours. Sans pudibonderie il comparait l'amour des garçons à celui des femmes, les agréments des relations entre hommes à la sage pérennité du mariage.
Ce jour-là,
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