Les dîners de Calpurnia
une trahison. D'ailleurs le tavernier le salua sans montrer la moindre surprise réprobatrice, tant il y avait à Rome déjeunes hommes qui :>e promenaient mains enlacées.
Durant le trajet, pourtant long, ils ne s'étaient presque pas adressé la parole, comme s'ils craignaient de rompre l'état de gr‚ce qui les protégeait. Ce n'est qu'aux abords de la maison dont la porte éclairée se voyait de loin que Lucinus questionna :
- Avez-vous beaucoup d'invités ?
- En principe il doit y avoir Juvénal, le vieux Tacite, Suétone, ainsi qu'Apollodore et sa femme.
- Apollodore ? Celui qui a pris la place de ton grand-pére ?
- Calpurnia t'expliquera, si tu l'en pries, qu'il n'est pour rien dans le choix de Trajan, ce qui est probable-323
ment vrai, que c'est un homme franc, courtois, qui ne demande qu'à nous aider. De plus, il doit me trouver un maître de sculpture. En fait, je crois qu'elle est amoureuse de lui.
- Tu plaisantes ?
- Un peu...
- Tu ne devrais pas parler ainsi de ta grand-mére. Tu ne l'aimes donc pas ?
- Je l'adore. C'est une femme merveilleuse que tout le monde admire. Je suis s˚r que tu tomberas sous son charme. Mais nous voilà au Vélabre.
Holà ! Regus, viens nous ouvrir le portail en grand : c'est la premiére fois que mon ami Lucinus nous rend visite !
Aucun invité n'était encore arrivé. Calpurnia, trés belle dans une longue robe vert d'eau qui laissait voir ses épaules restées étonnamment jeunes, était installée dans l'atrium. Calée sur les coussins, elle lisait, éclairée parles chandeliers et les lanternes disposés un peu partout dans la piéce. Elle leva la tête et sourit :
- Je vois que tu n'es pas seul. Nous aménes-tu un invité ?
- Je suis confus, dit Lucinus. Petronius m'a prié à dîner et je n'ai pas pu résister au désir que j'avais de te connaître.
Calpurnia, qui n'avait pas jusque-là prêté autrement attention au jeune homme, le regarda avec intérêt :
- Voilà qui est joliment dit. Si Petronius t'a invité, c'est que tu mérites de figurer au nombre des hôtes du Vélabre. Nous avons bien besoin de jeunesse... Sois le bienvenu.
Son regard allait de l'un à l'autre des garçons, grands et forts tous les deux, beaux à frémir et visiblement heureux. Calpurnia était trop fine pour que lui échappe la connivence qui existait entre eux. L'échange muet des regards, les sourires feutrés, les gestes qui rapprochent lui firent vite deviner que Petronius ne s'initierait pas aux plaisirs de l'amour dans les bras d'une femme. Elle en fut un moment contrite puis se dit qu'à cet ‚ge l'amour
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inspiré par un garçon beau et intelligent valait peut-être les caresses tarifées d'une prêtresse du Trastevere.
- Puis-je me permettre de te demander, noble Calpurnia, ce que tu lis ? Je suis moi-même un dévoreur de livres et me fais copier chaque mois chez le libraire Silenus à peu prés tout ce qui s'écrit. Mon pére dit que je le ruine mais il est plutôt content d'avoir un fils qui s'intéresse à la littérature. Je suis d'ailleurs en train de gagner Petronius à mon vice.
- C'est un vice que peu de Romains partagent, malheureusement. Ce que je lis ? Plutarque. C'est l'un de mes auteurs chéris.
Les deux garçons se regardérent et Lucinus dit simplement :
- Je partage cette opinion : Plutarque est l'un des grands de ce temps et il honore les lettres grecques. Dommage que peu de ses úuvres soient traduites.
- Tu ne lis pas le grec ?
- Pas assez bien pour saisir les nuances philosophiques.
- Voilà ! Des jeunes Romains cultivés qui ne lisent pas le grec ! J'espére que vous avez honte ? Car ton ami Petronius est comme toi, lui qui ne jure que par les sculpteurs de Delphes ou d'Olympie !
Mais Juvénal arrivait, le pas hésitant et de méchante humeur :
- Les poétes, trop pauvres pour s'offrir une litiére et deux Abyssins crépus, sont donc condamnés à aller à pied toute leur vie ! Je suis fourbu, mes amis. Ma canne elle-même se refuse à aller plus loin. Je crois que je vais devoir renoncer à venir au Vélabre.
- Tu disais déjà cela il y a dix ans et tu n'as jamais manqué l'une de nos réunions. Alors, cesse de maugréer et assieds-toi prés de nous.
Comme il dévisageait avec curiosité le jeune homme inconnu qui se tenait tel un enfant sage auprés de Calpurnia, Petronius fit les présentations : 325
- Lucinus, mon meilleur ami ! dit-il sur un ton frisant le défi.
Juvénal, soudain détendu, sourit :
- Te
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