Les dîners de Calpurnia
le lui avait conseillé Pline. Souvent, d'ailleurs, Juvénal ou Calpurnia donnait lecture d'une lettre adressée par le proconsul de Bithynie qui, fidéle à ses habitudes, restait en liaison épistolaire avec ses amis romains.
Ce jour-là, l'écrivain avait glané des nouvelles intéressantes au Palatin dont il n'avait jamais cessé de fréquenter les couloirs. Son amie, la douce et fidéle Actée, était morte discrétement, comme elle avait vécu. Selon la volonté de Néron, ses cendres reposaient prés des siennes dans le tombeau de famille des Aenobarbi.
Juvénal avait trouvé au palais une autre confidente C'était aussi une femme de qualité dont le pouvoir officiel était nul mais l'influence trés grande : l'impératrice Plo-tine, l'épouse de Trajan. Elle n'était pas du genre à se livrer à des indiscrétions mais confiait à Juvénal ses réflexions, que le poéte savait interpréter, sur beaucoup d'événements qui ne relevaient pas du secret.
- Hadrien, qui s'estime promis comme vous le savez à la succession de César mais qui enrage de n'être pa^ désigné, a, paraît-il, repris des couleurs.
Trajan vient de lui remettre l'anneau de diamants qu'il tenait de Nerva e~
qui est considéré comme le gage de promesse du pouvoi: II est parti satisfait rejoindre la légion Minerva poir participer à la seconde campagne de Dacie.
- Ne vaudrait-il pas mieux, demanda Petronius, que h succession f˚t officiellement décidée afin d'éviter une guerre civile à la mort de Trajan ?
- Naturellement, d'autant qu'Hadrien est le meilleur sinon le seul prétendant. Plotine, lorsqu'il s'agit de son neveu, plus proche parent dans la ligne masculine, et qu'elle aime comme le fils qu'elle n'a pu avoir, n'est pas avare de commentaires. Elle m'a avoué qu'elle tentait par tous les moyens de décider son mari à reconnaître Hadrien. Enfin, tant mieux si les choses pouvaient s'arranger.
- Connais-tu Hadrien ? demanda Lucinus.
- Non. Je ne l'ai vu que quelques fois au palais. Je sais que Pline ne le porte pas dans son cúur et que la réciproque est vraie. C'est un remarquable homme de guerre. Sa culture est exceptionnelle et je pense qu'il ferait un bon César. Même si son collier de barbe m'agace, ajouta-t-il en riant. Il veut lancer à Rome cette mode hellénique qui oour être nouvelle n'en est pas moins ridicule. Il y a quatre cents ans que les Romains ne portent plus la oarbe, exactement depuis le vieux Scipion, Barbatus, grand-pére du premier Africain.
- Et alors ? s'écria Petronius. J'attends d'avoir une barbe un peu plus fournie pour imiter Hadrien. Un sculpteur épris de l'art grec ne peut faire autrement.
Calpurnia rit et Juvénal, qui s'amusait bien, joua le conservatisme offusqué :
- Mais restez donc romains, bon sang ! Comme je pré-
ï ére à ce collier, plus assyrien que grec, le visage glabre et .es cheveux coupés en frange de notre cher Trajan ! Cela n'est-il pas plus viril ?
Encore que tout le monde sait qu'en campagne, lorsqu'il a bien bu, ce qui arrive sou-. ent, l'Empereur aime à se retirer sous sa tente en com-ragnie d'un éphébe local ! Petronius toussota et Calpurnia jugea qu'il valait ï leux changer de sujet de conversation :
- Parle-nous encore de Plotine. Cette dame me plaît
'.en.
- C'est qu'elle te ressemble, ma belle. Elle est intelligente et sait comment manier les hommes. Avec Matidie, ï-'.le veille sur le grand homme.
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- Je ne connais plus personne. qui est Matidie ?
- La niéce de Trajan. Il est grand temps de vous initier aux filiations impériales. Matidie, comme l'Empereur, est de la famille des Ulpii. Elle est aussi accessoirement la belle-mére d'Hadrien puisque sa fille Sabine a épousé pour le pire plus que pour le meilleur le jeune et brillant général.
Un mariage raté dont chacun a pris son parti. Mais si notre sculpteur nous parlait de son art ?
- Mon maître Assandre est un homme merveilleux. Il me persuade chaque jour qu'il n'a jamais eu d'éléve aussi doué et que bientôt je travaillerai pour Apollodore qui commence une úuvre magistrale : une colonne de trente métres dont le f˚t est une longue spirale sculptée qui s'enroule jusqu'au sommet pour représenter toute la vie de Trajan : la conquête de la Dacie o˘ il s'est illustré et aussi les circonstances au cours desquelles il a développé ses qualités morales, sa piété envers les dieux, sa bienveillance pour les citoyens et sa clémence à l'égard des vaincus.
- A quand
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