Les dîners de Calpurnia
instant o˘ tu as pris ma main ?
Lucinus feuilleta le recueil de papyrus et lut : " Seuls connaissent la fusion totale les époux qui s'aiment. Les autres amours ressemblent à ces rencontres, à ces frôlements, à ces combinaisons d'atomes accompagnés de séparations brutales dont parle Epi-332
cure. De tels mariages ne parviennent jamais à cette unité parfaite et entiére de l'amour conjugal, seule garante de plaisirs durables.
" quelle lumiére, quelle harmonie dans un mariage d'amour ! La loi le protége et la nature et les dieux !
" Les poétes disent que la terre est amoureuse du dieu qui dispense les pluies et que le ciel est épris de la terre. Les philosophes affirment que le soleil aime la lune, qu'il se rapproche d'elle pour la féconder. La terre, mére des hommes, des animaux et des plantes disparaîtrait si le désir br˚lant du dieu se détournait d'elle.
" Ce qui est s˚r, c'est que l'amour d'une femme demeure constant, même quand viennent les rides et les cheveux blancs. Il se conserve jusqu'à la tombe. "
- Et les amours entre hommes ? coupa Petronius.
- Ecoute la réponse de Plutarque :
" Alors que tant de couples sont là pour témoigner de la constance de l'amour dans le mariage, que tant d'époux sont restés fidéles et ardents toute leur vie, l'amour homosexuel, lui, offre bien peu d'exemples de liaisons durables. "
- Ne trouves-tu pas tout cela désespérant ? Je pense à nous...
- Ne pensons pas trop et profitons du jour qui vient. Carpe diem, a dit Horace ! Moi, je ne peux pas m'empêcher de me dire : " Nous éprouvons du plaisir à être ensemble, nous nous aimons parce que nous sommes tous les deux jeunes et beaux. qu'en sera-t-il lorsque le temps aura fait des ravages ? Ce sera déjà tellement extraordinaire si de notre amour nous gardons à jamais un souvenir de bonheur ! Ah ! j'oubliais de te dire que mes parents sont à la campagne et que ma súur Tullia, qui rêve de te connaître, nous a préparé un dîner avec l'une de ses amies.
- Cela a-t-il un rapport avec Plutarque ? demanda Petronius en riant.
- Hé, qui sait ?
Dans la soirée, les garçons se dirigérent en discutant et 333
en plaisantant vers le quartier résidentiel de l'Aventin o˘ la famille de Lucinus possédait une grande et belle domus. Ils passérent prés des entrepôts o˘ la foule grouillait jusqu'aux bords du Tibre et atteignirent la pyramide funéraire de Cestius.
- Nous sommes presque arrivés, dit Lucinus. Tiens, la domus que tu aperçois était la maison d'Hadrien avant son départ aux armées. Voici les jardins d'Asinius Pollio, nous habitons juste derriére.
A la cohue des quais succédait un calme campagnard. On devinait de riches maisons sous les platanes et les tilleuls.
- Je ne connaissais pas cet îlot de paix perdu dans la Rome des clameurs et des bousculades, dit Petronius. Ta famille a une grande chance de vivre ici.
- Peut-être. Le Vélabre est, certes, plus populaire mais c'est un quartier qui bouge, qui vit, qui chante. L'Aventin au contraire est un paradis triste o˘ les gens riches cachent leurs piéces d'or dans le marbre. Tu vas voir notre maison, trop grande, trop luxueuse, trop ostentatoire. Je préfére mille fois celle de Calpurnia o˘ tout est accueillant, gai, simple.
Elle a vu passer tellement de gens talentueux et cultivés qu'elle en a gardé un parfum d'intelligence qu'elle donne à respirer aux visiteurs. Ici pas de chaleur, seulement le froid de l'argent.
- Tu ne crois pas que tu exagéres ? Je te dirai ce que je pense de ta domus quand tu me l'auras fait visiter. A propos, comment est ta súur ? Belle ?
Brillante ? Drôle ?
- Tout cela. C'est une fille merveilleuse. Je crois que je suis fou de te la faire connaître. Mais nous voilà arrivés.
Le gardien, un vieil homme chenu, veillait derriére le portail entrouvert.
Il salua et prévint son jeune maître que les demoiselles attendaient dans le jardin. C'est donc le jardin que Petronius découvrit en premier. Plus petit que celui du Vélabre - on était tout de même en ville -, il en était l'antithése. Ordonné, géométrique, planté au cordeau, étêté à la toise afin qu'aucune fleur ou feuille ne dépasse, il semblait figé dans sa verdure comme un bijou
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dans son écrin. Les allées bordées de buis nain dessinaient des arabesques convenues dans ce monde sans fantaisie ; bref, le jardin de l'Aventin manquait de ce charme capiteux qui surprenait lorsqu'on pénétrait dans le fouillis
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