Les dîners de Calpurnia
bibliothéques, des salles d'exposition.
hiératique qu'il avait rencontrée chez Lucinus, non plus celle qui était venue le temps d'une soirée au Vélabre. La jeune fille qu'il contemplait en silence lui sembla moins maquillée, plus naturelle, plus vivante, plus vulnérable aussi.
Comme il ne disait toujours rien, c'est elle qui parla la premiére :
- Ma parole, tu es muet ! On dirait que tu ne m'attendais pas. Es-tu au moins content de me revoir ? Il se ressaisit, retint une larme et murmura :
- Un peu de patience. Je suis encore trop ému, trop heureux pour parler.
Oui, je t'attendais. Depuis le premier jour o˘ j'ai découvert ton visage sous la tonnelle de Lucinus !
- Alors viens, ne restons pas dans le passage. Descendons nous abriter dans l'un des bosquets de l'esplanade. Je connais un banc accueillant.
Il sentit bêtement comme une piq˚re du côté du cúur. Etait-elle déjà
souvent venue s'asseoir sur ce banc ? Et avec qui ? Il faillit le lui demander mais se retint. Il était trop tendre pour savoir que cette pointe de jalousie était le corollaire obligé de l'amour. Comme elle lui prenait la main, il la suivit vers le jardin des délices.
Il avait souvent pensé à cette rencontre, imaginé une joie céleste, dressé
mentalement la liste des questions qu'il voulait lui poser, cherché de belles phrases qui exalteraient son art et le mettraient en valeur. Les mots alors lui venaient facilement aux lévres, tout comme les compliments qu'il se proposait de lui faire sur sa beauté et son esprit. Et puis voilà ! Maintenant qu'il était avec elle, qu'il sentait la douceur de sa main sur la sienne, il ne savait quoi dire. Peut-être était-ce son sourire amusé qui le paralysait. Ne se moquait-elle pas de sa gaucherie ?
Enfin ils s'assirent et Petronius retrouva la parole en même temps que son calme :
- J'ai tellement de choses à te dire que je ne sais par o˘ commencer.
- Je vais t'aider. Dis-moi d'abord si tu me trouves 364
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attrayante, si ma coiffure te plaît autant que la premiére fois o˘ tu m'as vue. Dis-moi que tu as sculpté des dizaines de têtes qui me ressemblent, dis-moi surtout qui tu es car je te connais si peu !
Aucun des mots auxquels il avait pensé ne lui vint en mémoire. Il en trouva d'autres sortis du cúur que la jeune fille écouta apparemment avec plaisir, sans se départir pourtant de ce sourire un peu moqueur qui le faisait douter de lui. Parfois, elle l'interrompait et lui posait une question précise :
- qu'était exactement pour toi Rabirius ?
- Il était le mari de ma grand-mére Calpurnia. Ce sont eux qui m'ont élevé
car je ne connais presque pas mes parents. Ma mére vit en Espagne avec mon pére, un architecte renommé qui construit des ponts et qui ne s'est jamais soucié de moi.
- Mon pauvre Petronius. Tu es une sorte d'enfant abandonné, murmura-t-elle en lui serrant plus fort la main.
- Abandonné, avec Calpurnia comme grand-mére ? quand tu connaîtras cette grande dame, tu ne penseras plus ainsi.
- Je n'ai fait que l'apercevoir le soir o˘ je suis venue dîner au Vélabre mais j'espére que je la rencontrerai...
- C'est mon vúu le plus cher. Mais toi, que caches-tu derriére ton visage impénétrable ?
- Si tu n'as pas encore réussi à y deviner quelques-unes de mes pensées, c'est que tu es aveugle.
- Si, mais je n'ose pas y croire. La désillusion serait trop pénible.
- Tu lis mieux dans les yeux de Lucinus ? Il rougit et répondit assez séchement que cela n'avait rien à voir.
- Si tu savais comme tout est différent avec toi ! ajouta-t-il. Mais laisse-moi aussi te poser quelques questions qui me br˚lent les lévres.
- Tu veux me parler de Tullia ?
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- Pas du tout. Je veux te parler de toi. Rien ne m'intéresse en dehors de toi !
- N'exagére pas. que veux-tu savoir ?
- Comment, fille d'un sénateur influent, peux-tu prendre plaisir à
fréquenter en secret un malheureux artiste dont la famille, certes honorable, ne compte pas le moindre petit chevalier ? On m'a dit que Néron avait voulu introniser Sevurus dans l'ordre équestre mais qu'il avait refusé en disant que cette distinction n'apporterait rien à sa gloire.
Voilà mon seul titre de noblesse : un ancêtre qui aurait pu être chevalier !
- Etalors ? Crois-tu que je serais là si je ne me moquais pas de tes origines ? Je t'assure que la noblesse de l'art vaut celle de Rome, la petite et la grande !
- Mais ton pére ?
- Mon pére, dans les devoirs de sa
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