Les dîners de Calpurnia
rapportait.
- J'ai rencontré Precius, l'historien, raconta-t-il ainsi un jour. Il venait d'assister à une passe d'armes grammaticale entre l'Empereur et quelques rhéteurs célébres dont Favorinus qui se vit reprendre par César à
propos d'une expression qui ne souffrait aucun reproche. Aussitôt Favorinus se rendit à la critique en louant la sagacité impériale. Comme ses amis le raillaient un peu plus tard d'avoir si aisément cédé à Hadrien alors qu'il avait pour lui toutes les autorités grammaticales, il mit les rieurs de son côté en répondant : " Vous ne me persuaderez pas, mes amis, que celui qui commande à trente légions n'est pas le plus savant ! "
Un jour, Rufa arriva défaite au Vélabre, conduite par les porteurs de son pére, comme si elle n'avait plus à craindre d'être surveillée. Elle se jeta dans les bras de Petronius et répondit à Calpurnia qui lui demandait ce qui se passait :
- Les beaux jours sont finis. L'Empereur repart en voyage, peut-être pour plusieurs années. Il emméne avec lui sa cour, ses principaux collaborateurs, des juristes et des techniciens chargés de le conseiller pour diriger l'Empire à distance et régler tous les problémes qui se poseront surplace. Cela me serait indifférent si mon pére ne faisait pas partie de cette administration itinérante !
- Et alors ? dit Petronius. Ton pére au loin, nous serons plus libres !
- Non, parce qu'il pense qu'il ne peut pas laisser sa fille de vingt ans seule à Rome. Alors il a décidé de me marier pour que je ne reste pas sans protection et, bien qu'il ne le dise pas, pour assurer sa propre tranquillité.
Petronius p‚lit et emmena Rufa dans le jardin. Il avait souvent songé à ce jour o˘ elle lui annoncerait l'inévitable, mais le bonheur néglige les certitudes défavorables
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et il avait presque réussi à oublier les menaces qui pesaient sur leur amour. Et voilà qu'aujourd'hui, comme la guerre qui survient alors qu'on ne l'attend plus, le monde s'écroulait !
- L'idée que tu vas partager le lit d'un autre m'est insupportable !
s'indigna-t-il. Tu crois que je vais accepter de ne plus te voir ? Il n'y a qu'une solution : partir loin, trés loin...
- Ne dis pas de sottises. O˘ que nous allions, mon pére nous retrouverait.
Nous serions punis, condamnés !
- Calpurnia peut demander à son géant Colosseo de nous cacher dans les souterrains de l'amphithé‚tre.
- Et nous vivrons emmurés avec les bêtes jusqu'à la fin de nos jours ? Sois un peu sérieux, Petronius ! Tu crois que cela me fait plaisir d'épouser un autre que toi ? Crois-moi, c'est moi qui suis le plus à plaindre !
- D'abord, à qui va-t-on te marier ?
- Mon pére doit me le présenter demain. Je sais seulement que c'est le fils d'un préfet suffect de Trajan. Il est chevalier et, dit-on, promis à une belle carriére. Tout ce qu'il faut pour s'ennuyer, quoi !
- Viens, nous allons demander conseil à Calpurnia. Elle connaît tout de la vie et nous aime trop pour nous engager sur un mauvais chemin. As-tu essayé
de fléchir ton pére ?
- C'e˚t été inutile. Je ne vois qu'une lueur dans le gouffre sombre o˘ nous sommes plongés : ce qu'il sera possible de faire lorsque je serai mariée.
J'ai déjà envisagé avec toi la liberté dont je jouirai...
- Pourrait-elle être plus grande que celle que ton pére t'accordait ? J'en doute !
- Et pourquoi ne pas songer au divorce ? Je ne serais pas la premiére qui, à la suite d'un accord commun, a recouvré sa liberté. Je ne crois pas que mon futur mari soit trés fortuné. Cela peut permettre un arrangement.
- Tout cela me dégo˚te ! Je crois que je vais abandonner Rome et ses hypocrisies pour aller m'enivrer des parfums de la Gréce.
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- Tu me laisseras seule ?
- Non, avec ton cher mari, le chevalier !
Petronius ne voulait pas être à Rome au moment o˘ Rufa allait épouser Ennius, fils du noble Silius Flaccus, dans la pompe et l'archaÔsme des rites romains. Il ne partit pas pour la Gréce trop lointaine mais pour Ostie, chez le cher Polimus o˘ il était s˚r de trouver un accueil chaleureux et tout le marbre dont il pouvait rêver pour travailler avec l'espoir que l'oubli finirait par adoucir sa peine.
Calpurnia ne laissa pas partir son garçon sans verser de larmes :
- Tu vois, dit-elle, je ne réussis plus à maîtriser mes émotions. C'est l'‚ge. J'atteins la pente du couchant... Alors, ne tarde pas trop à revenir car je n'aimerais pas que tu sois loin
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