Les dîners de Calpurnia
partie de ces sénateurs prudents, raisonnables et intelligents qui, sans s'avilir,
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avaient réussi à survivre aux périodes de tyrannie. Conseiller écouté de Trajan, il avait suivi avec sollicitude les premiers pas militaires et politiques d'Hadrien. Il était donc logique que le nouvel Empereur appelle aux affaires ce scrupuleux serviteur de l'Etat dont le caractére indépendant lui plaisait. Aurelius, qui avait décliné la fonction trop politique de préfet du prétoire, avait été nommé responsable du Concilium Principis1.
Les dîners du Vélabre avaient pris un tour plus intime. Seul Juvénal y assistait souvent. Parfois Lucinus et Tullia se faisaient inviter. Aprés un moment de dépit le frére et la súur avaient fini par accepter la situation nouvelle qui les privait, lui d'un ami trés cher, elle du soupirant qu'elle aurait aimé avoir à ses pieds.
Calpurnia trouvait en Rufa l'informatrice amie qui lui avait manqué sous Trajan. Curieuse comme la plupart des Romaines, elle avait toujours aimé
être au courant des intrigues qui se nouaient dans les couloirs du Palatin.
Par son pére, la jeune fille connaissait beaucoup de ces petits secrets qui faisaient les délices des habitués du Vélabre. Ainsi apprit-on que les relations s'étaient singuliérement dégradées entre l'Empereur et Apollodore. Ce dernier, fier d'avoir marqué Rome de son talent, conscient du rôle d'initiateur qu'il avait joué naguére auprés du jeune prince passionné d'architecture, supportait mal les prétentions artistiques de l'éléve devenu Empereur qui entendait imposer ses idées et ses projets.
- Mon pére assure que cet antagonisme devient dangereux pour Apollodore, dit Rufa.
- Apollodore m'a dit un jour qu'il pourrait bien lui arriver le même désagrément qu'à Rabirius, remarqua Petronius. Va-t-il aussi devoir abandonner sa charge ?
- Peut-être. Je sais qu'actuellement la dissension porte sur le temple de Vénus qu'Hadrien a décidé d'élever et sur la construction du Panthéon, une idée de son prédéces-1. Le Conseil du Prince, composé de hauts fonctionnaires, prend à partir d'Hadrien une importance de plus en plus grande, au point, par moments, de supplanter le Sénat.
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seur. Pour le temple, afin sans doute de montrer à Apol-lodore qu'il pouvait se passer de son aide, l'Empereur lui a envoyé son propre projet en lui demandant s'il le trouvait bon. Apollodore lui a répondu que le temple était mal conçu, qu'il devrait être construit sur une hauteur de façon à
être mieux vu depuis la voie Sacrée. L'Empereur a peu apprécié cet avis.
Cette rivalité ne peut avoir qu'une issue : le renvoi pur et simple d'Apollodore !
- Hadrien, dont les capacités semblent universelles, comprend-il au moins quelque chose à l'architecture ? demanda Calpurnia que cette lutte inégale passionnait.
- Oui. Mon pére dit qu'il est excellent, comme dans toutes les choses auxquelles il s'intéresse.
Cela faisait deux ans qu'Hadrien avait rejoint Rome aprés le voyage de neuf mois qui avait succédé à la mort de Trajan. Il avait repoussé une invasion des Roxolani1, fait la paix avec la Dacie, réglé les affaires d'Orient les plus urgentes. Le massacre des sénateurs rebelles par Attianus était oublié
et, gr‚ce à ses qualités exceptionnelles, il s'était rangé dés le début dans la famille historique des grands Césars.
Hadrien était, il est vrai, un personnage brillant. Son esprit encyclopédique le distinguait de tous ses prédécesseurs et, s'il se piquait abusivement de tout savoir, il était certain qu'il savait beaucoup de choses. Epris de philosophie, il se plaisait dans la compagnie du stoÔcien Epie-tête et, si ses go˚ts en littérature étaient surprenants - il préférait par exemple Caton à Cicéron et Ennius à Virgile -, il était un vrai lettré doublé d'un savant instruit de géométrie, d'astronomie et de médecine. C'était aussi un artiste authentique à l'aff˚t de tous les plaisirs esthétiques. Il peignait, sculptait et était bon musicien. quant à
l'architecture, Apollodore avait pu juger de sa passion. Il 1. Peuple guerrier et puissant de la Sarmatie européenne, aujourd'hui région voisine de la mer Caspienne.
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avait créé au Palatin un atelier qui, sous son autorité, exécutait ses plans et surveillait les travaux.
Les histoires, les anecdotes sur Hadrien, rarement malveillantes, couraient le forum. C'était évidemment Juvénal qui les
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