Les dîners de Calpurnia
par respect pour un art dont il n'avait pas réussi à vaincre les difficultés. quand il ouvrait la bouche, c'était toujours pour faire parler le bon sens. Ainsi, un jour, il avait dit :
- Le modelage est curieusement le contraire de la sculpture. Dans le premier l'artiste apporte petit à petit de la matiére alors que pour sculpter il la retire.
Une autre fois :
- Comme tu dois me connaître à force de scruter mon visage, de mesurer l'inclinaison de mon front, de compter mes rides ! Car aucun trait ne trompe. Le moindre froncement de sourcils, la fuite d'un regard te révélent,
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j'en suis s˚r, un secret de mon cúur. quel beau métier tu as choisi !
Petronius l'écoutait, l'engageait à se livrer et demandait :
- Tu parles mieux que n'importe qui d'un art que tu ne pratiques pas.
Pourquoi n'écris-tu pas toutes ces réflexions qui te viennent à l'esprit ?
Polimus éclatait de rire :
- Tu me vois écrire à mon ‚ge ? Avec ces doigts aussi durs que le marbre qu'ils ont travaillé durant toute une vie ?
Petronius menait de front le buste de Polimus et une statuette dont l'idée le poursuivait depuis longtemps, celle de Rufa en Aphrodite. Ces deux travaux en étaient encore à l'état du modelage sur lequel, il s'en rendait compte, il s'attardait trop. Toujours cette crainte de passer à l'acte, qu'il avait éprouvée pour chacune de ses úuvres au moment d'attaquer la pierre ! Mais Polimus le décida :
- Alors, petit, je ne t'ai pas appris le marbre pour que tu t'obstines à
tripoter la glaise. J'ai h‚te de te voir manier le ciseau !
Petronius commença donc à " meurtrir le marbre ", comme disait Assandre, c'est-à-dire à dégrossir le bloc de carrare pour en faire une sorte d'úuf qui prendrait aprés d'innombrables approches au ciseau les traits de Polimus.
Aphrodite, c'était le plaisir du soir. Il la retrouvait lorsque le soleil déclinait, et ce rendez-vous, qui lui avait été difficile à supporter au début, lui apportait maintenant une certaine sérénité. A cette échelle réduite la ressemblance du visage n'avait plus beaucoup de sens. Ce qu'il recherchait c'était moins une identification qu'une sublimation. Rufa en Aphrodite n'était plus Rufa. C'était le portrait de l'amour, la jeunesse insolente, la fierté de la déesse, la gr‚ce d'être née de l'écume de la mer ; et aussi, pour Petronius qui connaissait bien la vie légendaire de la fille de Zeus, l'image de celle qui avait favorisé le 386
mariage et l'amour en dehors de toute loi. En sculptant Aphrodite, n'accroissait-il pas ses chances de reconquête ?
Rufa pour l'instant restait muette. Sachant sans doute par Tullia que Petronius avait quitté Rome, elle n'avait pas donné signe de vie à
Calpurnia. Le sculpteur, aprés avoir été tenté de demander des nouvelles à
Lucinus, avait préféré ne rien savoir. " Si Rufa me revient un jour, pensait-il, ce sera une période de malheur à oublier. Autant commencer maintenant. " Et il redoublait d'ardeur au travail.
Polimus connaissait un vieux sculpteur qui vivait dans la campagne d'Ostie en décorant de statues les jardins des riches Romains, nombreux à posséder une maison sur les bords de mer. A la demande il livrait une Cérés, une Vénus ou un Apollon qui prenait place dans un quinconce ou reflétait sa blancheur dans l'eau d'un bassin o˘ évoluaient des cygnes.
- Nous allons rendre visite à mon ami Atticus, dit un jour Polimus. Il n'est pas le Phidias romain mais c'est un vrai artiste qui connaît son métier et dont les mains travaillent aussi bien que la tête. Il ne gagne pas beaucoup d'argent car il est consciencieux et passe trop de temps sur ses statues mais pour rien au monde il n'échangerait une situation qui lui permet de vivre dans le monde des dieux. Tu apprendras beaucoup en le regardant travailler car l'art sans métier n'est pas grand-chose. Et puis, nous l'inviterons chez nous. J'aimerais qu'il voie ce que tu fais.
Atticus était sans ‚ge. Sa volumineuse barbe blanche cachait ses rides, s'il en avait, et son regard était étonnamment jeune. A force de sculpter les dieux il en avait pris la hauteur et le détachement que les artistes grecs leur avaient attribués pour l'éternité. quand ils arrivérent dans la cour o˘ l'artiste fignolait les fruits qu'une Pomone toute neuve présentait avec gr‚ce, il s'écria :
- Polimus, mon ami, mon frére, sois le bienvenu dans 387
ce jardin et que ma Pomone veille sur les années qui te
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