Les dîners de Calpurnia
seules mains et tes yeux tu vas créer de la beauté. quel autre métier t'offrirait ce privilége ? "
Rufa, conduite par Calpurnia, arrivait justement. Elle avait revêtu sur son péplum de lin un long manteau sombre et avait noué sur sa tête un foulard qui lui dissimulait la moitié du visage. Rien ne la différenciait des autres Romaines qui se faufilaient à la même heure dans la fourmiliére de la vieille ville.
- Tu vois, dit-elle en riant, je me suis rendue invisible pour venir. Aucun esclave de mon pére ne m'a suivie jusque chez toi ! Mais je suis là depuis un moment. J'ai bavardé avec Calpurnia et j'aurais bien continué jusqu'à ce soir tellement ta grand-mére est passionnante. Elle m'a conquise !
- J'en étais s˚r, elle a séduit tout le monde à Rome depuis sa tendre jeunesse !
- Petronius exagére, dit Calpurnia. Mais je te souhaite sans forfanterie de susciter autant d'intérêt que moi au cours de ta vie. C'est agréable, tu sais, d'être aimée ! Maintenant je laisse la beauté et le talent organiser l'éclo-sion d'un chef-d'úuvre !
Elle rit et s'en retourna de son pas de jeune fille.
- Regarde, dit Petronius, quand on voit sa silhouette danser à travers les allées du jardin on lui donnerait vingt
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ans. qui pourrait croire qu'elle en a plus de soixante-cinq ?
- Comme j'aimerais vieillir avec toi ! dit soudain Rufa. Crois-tu que c'est un rêve insensé ?
- Calpurnia m'a dit hier que l'amour avait raison de tous les obstacles. Si tu m'aimes, tout est ou sera possible.
Il lui ôta son manteau, son foulard, prit sa tête entre ses deux mains et la regarda, ébloui, avant de la couvrir de baisers.
- Viens voir les bustes que j'ai faits de mémoire. Il y en a deux que tu ne connais pas. Moi je n'en vois plus que les défauts. Peut-être que le modéle sera plus indulgent que l'artiste ! Seulement il va falloir que tu dénudes tes épaules. Ton long cou doit en sortir comme le pistil d'une fleur.
- Comme tu veux, répondit-elle en laissant tomber sa tunique jusqu'aux reins.
Il se sentit devenir rouge d'émotion et la contempla en silence, bouleversé. Il maîtrisa enfin son embarras et lui montra un tabouret :
- Assieds-toi là et regarde-moi. Je vais d'abord ébaucher un modéle en glaise. Tu vas dire que je suis bête mais je suis intimidé. Je ne peux m'empêcher de penser que je ne suis pas digne de ta beauté et que tu aurais d˚ naître en Gréce au temps de Praxitéle. Il t'aurait faite en Aphrodite, en Amazone, en Artémis. Un peu plus tôt Phidias t'aurait représentée sur les frises du Parthénon ! Ce que je dis est vrai : aucun sculpteur romain n'est capable d'exprimer l'éclat qui irradie de ton corps !
C'était elle maintenant qui l'observait, confondue par l'exaltation qu'elle suscitait :
- Si, dit-elle, un sculpteur romain est capable de faire mon portrait : toi, Petronius. Parce que tu m'aimes et que l'amour donne du talent à ceux qui n'en ont pas et du génie à ceux qui ont du talent. Tu fais partie des seconds et, à considérer les bustes que tu as faits de mémoire, celui pour lequel je vais poser ne peut être que réussi.
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Mais assez parlé d'une beauté que tu sublimes abusivement, prends la glaise et modéle-moi un beau nez ! Tiens, au fait ? Comment est-il, mon nez ?
Rufa vint et revint au Vélabre. Chaque fois elle prenait la pose, et Petronius, qui terminait l'ébauche du marbre, n'était pas mécontent de son travail.
- qu'en penses-tu ? demandait-il. Si je m'écoutais je laisserais la pierre brute de ciseau. Je te l'ai, je crois, déjà dit lorsque tu es venue pour la premiére fois : la lumiére joue mieux sur l'inégalité des surfaces et les arêtes vives que sur le marbre poli et adouci. Mais je veux que ma sculpture capte toute ta beauté et j'irai jusqu'à graver au perloir le grain de ta peau dans la pierre !
Lorsqu'il se laissait ainsi emporter par son ouvrage, Rufa riait, se moquait mais était ravie. Petronius lui avait raconté que jadis la poésie de Valerius avait eu raison de la sagesse de Calpurnia et elle se demandait si la sculpture aurait sur elle le même effet. En attendant, les relations entre les jeunes amoureux demeuraient chastes, " professionnelles ", comme disait Petronius. En dehors des baisers qui, il est vrai, s'éternisaient souvent, il résistait au désir de frôler, de caresser, d'embrasser le buste adorable qu'elle offrait à ses regards lorsqu'elle était dénudée. Elle ne faisait rien non plus pour
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