Les dîners de Calpurnia
de moi quand je quitterai le Vélabre !
Petronius la serra longuement dans ses bras, lui dit qu'elle était vaillante comme une jeune fille et qu'elle vivrait encore longtemps. Il ajouta qu'il reviendrait avant le printemps pour voir éclore les narcisses dans le jardin.
- Alors je t'attendrai, murmura-t-elle dans un pauvre sourire. Ce qui me bouleverse, c'est de te voir partir malheureux !
- C'est un mauvais moment à passer. J'espére que le travail m'aidera à
oublier.
Il était tout de même bien triste en rangeant ses outils dans son bagage.
Apollodore lui avait fait obtenir une place dans la voiture du cursus publiai et lui avait souhaité bonne chance :
- Je ne sais pas o˘ je serai lorsque tu reviendras ! N'oublie pas ce que je t'ai dit : refuse d'être attaché au systéme impérial. Et surtout, travaille. Rome a besoin de bons sculpteurs !
Petronius disposait d'un peu de temps avant de partir rejoindre la station centrale de la poste au Champ de Mars. Il alla jeter un dernier regard à
l'atelier maintenant rempli de ses sculptures. Les bustes de Rufa étaient par-383
tout. Il hésita puis empaqueta soigneusement la terre cuite qu'il avait modelée la premiére fois qu'elle était venue poser.
- Si elle arrive entiére à Ostie, dit-il à Calpurnia qui le regardait faire, c'est que tout n'est pas fini. Tu crois vraiment que je retrouverai Rufa ?
- J'en suis s˚re, mon chéri. Devant l'inévitable il ne reste qu'à espérer.
Comme je regrette que tu n'aies pas rejoint notre famille chrétienne !
Jésus t'aiderait... Mais je vais prier pour vous deux.
La joie des Polimus en le voyant arriver était si spontanée que Petronius en fut tout ému. Ils avaient bien vieilli dans leur forêt de marbre et ne paraissaient pas trop fatigués.
- Je ne travaille plus guére, dit Polimus, mais je me fais aider et la marbrerie continue d'approvisionner les entrepreneurs et les artistes. Dis-moi, aimes-tu toujours la pierre ? O˘ en es-tu de la sculpture ? Viens, nous allons faire le tour du chantier en bavardant. Il faut que tu refasses connaissance avec Paros et Carrare ! As-tu apporté tes outils ?
- Oui, je compte bien sculpter et j'ai h‚te de savoir ce que tu penses de mon travail. Accepteras-tu de poser pour moi ? J'aimerais tellement faire ton portrait. Pourquoi pas en César ? N'es-tu pas l'empereur d'Astrakan, le pays de la lamachelle, ce marbre rare que l'on ne trouve que chez toi ? En as-tu encore quelques blocs ?
- Oui, parce que je refuse de les vendre. Si tu veux les sculpter, ils sont à toi ! Mais au fait, quand tu dis que tu veux faire mon buste, tu parles sérieusement ?
- Nous commencerons dés demain. Et aprés, je ferai celui de la chére maman Fidelia. Mais o˘ est-elle ? Je l'ai à peine vue en arrivant.
- Je suis s˚r qu'elle est dans sa cuisine en train de préparer le dîner de ton retour ! Maintenant, réponds-moi si tu le veux : es-tu heureux dans la vie ?
- Disons que je l'étais, follement, il y a encore une semaine.
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- Bon. Je comprends. L'air de la mer et aussi l'odeur du marbre, que tu es l'un des seuls à sentir, vont te redonner le go˚t de la vie.
Le vieux Polimus avait raison. Certes, Petronius n'oubliait pas Rufa et se croyait toujours le plus malheureux des hommes, mais le cadre retrouvé de la marbrerie et la bonté de ses hôtes lui faisaient de plus en plus souvent retrouver le sourire. Les soirées et les nuits étaient les plus pénibles.
Couché en face de l'ébauche de terre qu'il éclairait d'une chandelle, il n'échappait pas aux souvenirs et aux déchirements de la jalousie, sentiment nouveau pour lui. Il ne réussissait pas à freiner son imagination qui l'emmenait dans une chambre luxueuse o˘ Rufa était étendue prés de son mari. Plusieurs fois des cauchemars l'avaient réveillé, en sueur. Rufa résistait et l'appelait au secours. Le matin, heureusement, tout allait mieux. Polimus avait mis un hangar à sa disposition mais, quand le soleil brillait, il préférait s'installer dehors, au milieu des blocs de marbre.
Polimus était un bon modéle. Son visage de paysan du Sud aux traits durs, aux rides rares mais profondes, reflétait le paysage d'une vie laborieuse, ordonnée dans un sage bonheur. Il se pliait facilement aux exigences de la glaise que Petronius posait par petites boulettes et travaillait avec le pouce et l'index afin d'accentuer l'épaisseur d'une narine ou de former le lobe d'une oreille.
Polimus restait souvent silencieux,
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