Les dîners de Calpurnia
s'acquittaient de cette t‚che, il demanda à
Hermogéne et à Chabrias :
- S'agit-il d'un accident ou l'enfant s'est-il volontairement noyé ?
- Il est difficile de se prononcer, répondit le médecin. Mais comment serait-il tombé accidentellement à cet endroit ?
- Pour y arriver, il a d˚ marcher dans les roseaux... ajouta Chabrias.
- Vous pensez donc qu'Antinous s'est suicidé ? Je le crois aussi. Mais pourquoi a-t-il voulu quitter cette vie o˘ tout lui était promis ? Je ne peux m'empêcher de repenser à cette phrase qu'il m'a dite par deux fois et qui me poursuivra jusqu'au tombeau : " Je veux mourir avant toi1 ! "
1. La mort par noyade d'Antinous suscita bien des controverses Certains n'hésitérent pas à avancer qu'il s'était offert en sacrifice pour Hadrien à
qui un mage avait annoncé qu'il devait aux dieux une victime volontaire.
D'autres, qu'il se noya pour faire réussir une expérience magique entreprise avec son maître.
Hadrien, seul, choisit le lieu de l'inhumation du corps d'Antinous, embaumé
selon les rites du pays :
- Tout laisse supposer, dit-il, que c'est pour prier et sacrifier avant de mourir qu'Antinous a choisi le temple abandonné par les prêtres d'une communauté voisine. Eh bien, c'est là qu'il reposera dans le tombeau que nous allons construire ! Sa jeunesse était divine, je l'ai toujours su, et la Gréce, l'Italie, l'Asie le vénéreront. Je vais relever le vieux temple de ses ruines et les prêtres qui s'y établiront veilleront nuit et jour à
assurer le culte du jeune dieu. Le premier du mois d'Athir, des pleureuses parcourront la rive du fleuve sur lequel la barque sacrée proménera son effigie.
Un peu plus tard, pendant que l'on attendait la fin du délai imposé par les embaumeurs, Hadrien dicta une autre volonté :
- Il n'est pas question, dit-il, de laisser seulement célébrer mon jeune dieu dans ce lieu isolé o˘ les pélerinages seront rares. Prés du temple et du tombeau d'Antinous se dressera entre mer et désert AntinoÎ, une ville nouvelle o˘ son culte sera à jamais intégré au pas des caravanes, à
l'animation du marché et aux cris des enfants ! Les travaux de construction de cette ville dont j'irai demain marquer les limites doivent commencer aussitôt. Deux de mes ingénieurs resteront sur place pour les organiser et les surveiller.
Cette activité avait un peu détourné Hadrien de son chagrin mais la plaie était trop profonde pour se refermer aussi vite. Elle se rouvrit dés que les felouques impériales prirent le vent vers Alexandrie, aprés que la momie d'Antinous eut été enfermée dans son sarcophage de porphyre et descendue au fond d'une tombe murée comme celle d'un pharaon.
Ce ne sont pas les témoignages qui lui parvenaient de tout l'Empire ni les odes et consolations des poétes de Rome qui pouvaient atténuer, par leurs lieux communs, la douleur de l'absence. Le message poli de l'Impératrice qui venait de s'embarquer pour Rome alors qu'Hadrien 420
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arrivait à Alexandrie ne le toucha pas davantage. Les voyages qui avaient été si longtemps l'essentiel de sa vie commençaient à lui peser. Il décida pourtant de rejoindre la Gréce par voie de terre et de faire ainsi une derniére tournée officielle dans l'Orient romain.
15
Omnia vincit amor
La mort d'Antinous frappa Petronius qui n'avait pas oublié les longues heures de pose au palais. Comme tous les portraitistes, qu'ils soient peintres ou sculpteurs, il avait eu le temps de scruter le visage de son modéle, d'en observer les traits, de deviner ce que cachaient le mystére de son apparence et le laconisme de ses propos. Il avait éprouvé de la sympathie et de la compassion pour le jeune homme triste qui semblait se désintéresser du présent, poursuivre un rêve lointain, vivre une autre vie dans un autre monde. Il ne crut pas la version officielle de l'accident et, pensant au suicide, éprouva le désir de sculpter la tête d'Antinous face au néant, de fixer dans la pierre la fin de l'ultime combat entre la peur et la mort décidée.
Cette nouvelle úuvre, devenue sa seule préoccupation, Petronius l'entreprit dans la fraîcheur de la campagne ostienne. Il avait quitté Rome accablée de chaleur pour la modeste maison qu'Atticus, le sculpteur de dieux, venait de lui léguer à sa mort. Le vieil artiste n'avait mis qu'une condition à ce don : que Petronius continue le plus souvent possible d'y exercer son art.
Le maître du Vélabre avait aussitôt
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