Les dîners de Calpurnia
chars, discipline o˘ il prétendait exceller. Malheureusement, situation embarrassante pour le maître du monde, une chute l'avait dés le premier tour envoyé rouler dans la poussiére. Il s'en était tiré avec des contusions et la couronne de vainqueur.
On était déjà dans l'été 67 et le thé‚tre de Delphes s'apprêtait à
accueillir les troupes et les chanteurs pour fêter comme tous les ans Apollon. Pourtant, l'absence prolongée de Néron était de plus en plus critiquée à Rome o˘ le Sénat le pressait de rentrer. Mais comment résister à l'attrait de Delphes ? Néron décida de concourir en déclarant ne vouloir bénéficier d'aucune faveur par rapport aux autres concurrents. Il chanta donc et fut naturellement encore une fois proclamé vainqueur.
Le vrai coup de thé‚tre que Néron réservait à la Gréce n'avait pourtant rien à voir avec ces mascarades. Aprés onze mois d'un séjour qu'il affirmait être le meilleur moment de sa vie, il songea à remercier l'Hellade d'une façon digne de sa noblesse et de sa grandeur. Dans ce but, 81
il convia les Grecs à se rendre à Corinthe le quatriéme jour avant les calendes de décembre pour prendre connaissance de décisions importantes.
Là, au pied du rocher de la vieille acropole, la foule attendait l'artiste en se posant des questions sur le nouveau rôle qu'il allait tenir. Mais Néron n'apparut pas comme à l'habitude dans sa robe de chanteur. Il avait revêtu la parure impériale, casque d'or et manteau de pourpre. L'histrion était redevenu César car ce qu'il avait à dire au peuple grec était lourd de conséquences :
" ‘ Hellénes, la faveur que je vous accorde est tellement inattendue et inespérée de vous que vous n'auriez pas osé me la demander. Ecoutez ! Vous tous, habitants des cités grecques, recevez, avec l'exemption de tout tribut, cette liberté que, f˚t-ce aux temps les plus heureux de votre histoire, vous n'avez jamais possédée tous ensemble. Car toujours vous avez été soumis ou à l'étranger ou les uns aux autres. Des princes ont pu donner la liberté à des villes, seul Néron la rend à toute une province. "
Ainsi, au moment o˘ Rome doutait de César, critiquait sa politique et le menaçait dans sa vie, Néron, en Gréce, devenait un dieu... Un cri de reconnaissance montait du pays qui venait de recouvrer la liberté. Partout des statues étaient élevées à la gloire de " Néron Zeus Libérateur ".
Nommé " nouveau soleil illuminant les Hellénes ", que pouvait encore offrir Néron à cette Gréce qu'il aimait et qui le vénérait ? Il n'avait pas choisi par hasard Corinthe pour lui annoncer la bonne nouvelle. Corinthe, avant d'être une ville accueillante, était un isthme, une langue de terre minuscule mais gênante puisqu'elle obligeait les navires qui voulaient passer de la mer Ionienne à la mer Egée à faire un long détour par Cythére, ce qui rallongeait de huit à dix jours la route de l'Orient. Inventifs, les Corinthiens palliaient depuis longtemps cet inconvénient à l'aide de chariots à roues qui permettaient de haler sur terre les bateaux entre les deux rives. Il ne
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s'agissait pourtant que d'un moyen de fortune ne concernant que les petites embarcations. Néron, durant son premier séjour, avait compris que l'ouverture d'un canal rendrait d'immenses services à la flotte de l'Empire. Comme il avait l'esprit b‚tisseur, la reconstruction de Rome et la Domus Aurea l'avaient prouvé, il décida d'offrir à l'Italie et à la Gréce un sublime témoignage de son régne : un canal entre deux mers, long de quatre milles, qui économiserait temps et argent en facilitant le commerce et le ravitaillement de l'Empire.
L'isthme était malheureusement un énorme rocher et l'entreprise, qui aurait été déjà difficile en terrain meuble, devenait dans la pierre un travail d'Hercule ! Il nécessitait en tout cas un nombre considérable d'ouvriers, bien supérieur à celui que pouvait fournir la main-d'úuvre locale. quant aux architectes et ingénieurs grecs, ils se montrérent vite incapables de diriger un tel chantier.
- Néron, lui disait Tigellin dont les conseils pour une fois étaient bons, ne tente pas l'impossible, rentre à Rome o˘ le gouvernement t'attend. Les derniers messages reçus me décrivent la ville en désordre et le Sénat hostile. Je ne peux rien faire d'ici. Laisse-moi au moins rentrer. En t'attendant je rétablirai l'ordre...
L'Empereur restait sourd à ces exhortations.
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