Les dîners de Calpurnia
cher Pline, de concilier ton úuvre littéraire considérable et tes fonctions publiques ? s'enquit Calpurnia.
- Mon temps est pris par ces fonctions et je m'occupe de mon Histoire naturelle à mes moments de loisirs, c'est-à-dire la nuit. Je ne voudrais pas que mes princes me croient capable de leur voler un temps qui leur est d˚. Ma récompense, c'est de vivre un plus grand nombre d'heures que les autres.
Les femmes aussi furent à l'honneur. Calpurnia, à la demande de Marcellus, parla de son oncle qui, adolescent, avait vu Auguste présider une course de chars au cirque Maxime et avait plus tard construit la moitié des plus belles demeures de Rome. Corrine, elle, pouvait raconter mille histoires sur la femme qui avait connu la plus extraordinaire destinée, cette Agrippine qui, redoutable manipulatrice du poison, ne se séparait jamais d'une trousse remplie de tous les antidotes. Elle décrivit aussi une scéne peu banale à laquelle elle avait assisté à la cour.
- Un jour, Narcisse, un affranchi de Claude, avait 159
appelé un devin physionomiste pour examiner le visage de Britannicus et se livrer à quelques prédictions à propos de ce prince promis aux plus hautes destinées mais qui était de santé fragile. Sans hésiter, le devin déclara que Britannicus ne régnerait pas mais que le garçon qui était à ses côtés avait toutes les chances de devenir empereur. Ce garçon, c'était Titus, le fils aîné de Vespasien qui, élevé au palais impérial avec Britannicus, a reçu des mêmes maîtres la même éducation. Et aujourd'hui, c'est lui qui est désigné pour succéder à son pére ! N'est-ce pas étonnant ? Les deux enfants s'aimaient beaucoup. On a raconté que Titus avait failli mourir empoisonné
en go˚tant volontairement un poisson douteux servi à Britannicus, mais c'était aprés mon départ et je ne suis pas tout à fait certaine de la véracité de cette histoire1.
On parla aussi de Joséphe. Joséphe, c'était le personnage à la mode et il était de bon ton, à Rome, de dire qu'on en savait un peu plus que les autres sur ce guerrier hébreu devenu le protégé de Vespasien et qui écrivait en grec un récit sur la Guerre des Juifs..
- L'histoire mérite d'être contée et j'espére qu'un historien s'y attachera, dit Pline. Son pére appartenait à l'aristocratie sacerdotale de Jérusalem o˘ il reçut une solide éducation religieuse. Fait rare pour un Juif à cette époque, il vouait une grande admiration au peuple romain et entreprit à vingt-six ans d'aller demander la gr‚ce de quelques prêtres envoyés en captivité par Félix, le gouverneur romain, à titre d'otages. Gr
‚ce à Poppée, il obtint satisfaction mais trouva, à son retour à Jérusalem, le pays en pleine révolte contre Rome. La guerre était inévitable. Le sanhédrin, cour de justice toute-puissante en Palestine, transformé en haut commandement militaire, avait créé sept districts stratégiques dont celui de Galilée, confié, allez savoir pourquoi, à Joséphe, qui n'était pas préparé au métier militaire mais qui, en bon patriote, défendit avec courage la citadelle de Jotapate,
1. Suétone la racontera dans Vies des douze Césars.
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assiégée par Vespasien et Titus, avant d'être fait prisonnier.
- Dis donc, cher Pline, c'est un vrai roman que tu nous racontes là, dit Celer.
- Oh, mais ce n'est pas fini ! A ce point de mon récit, Joséphe est enchaîné et le meilleur sort qui puisse lui être réservé est d'être emmené
à Rome et de figurer parmi les captifs au Triomphe du vainqueur de Jérusalem. Or, les choses ne se passérent pas ainsi. Lorsqu'il fut présenté
chargé de fers à Vespasien, il lui dit calmement, d'une voix inspirée, qu'il connaissait son destin futur : " Tu m'entraves aujourd'hui parce que je suis vaincu mais, dans un an, lorsque tu seras devenu empereur, tu ordonneras de me délivrer en te rappelant ma prophétie. "
- On dit que Vespasien est trés superstitieux, dit Cal-purnia.
- Plus que cela : il chasse les présages comme d'autres les papillons ! La prophétie de Joséphe a s˚rement eu son influence dans la décision de Vespasien hésitant au moment d'accepter l'Empire. Et les autres présages !
Rappelez-vous l'aigle venu d'Orient qui a désigné le vainqueur à Betriacum.
Et la statue de César qui, lors de comices, s'est tournée toute seule du côté de l'Orient o˘ Vespasien attendait. Oui, prodiges et oracles se sont multipliés qui
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