Les dîners de Calpurnia
la conversation s'orienta sur la cuisine, les vertus des céréales et le bon choix des truffes blanches dont c'était la pleine saison.
Comme toujours, la table était excellente, sans aucun de ces artifices qui transforment les mets simplement délicieux en plats compliqués, prétentieux et d'un go˚t indéfini. Martial était intarissable sur le sujet et, lorsque l'on eut dégusté des úufs accompagnés de quelques truffes à la croque au sel, il lança qu'il venait justement d'écrire un épigramme au lendemain d'un festin offert par un riche personnage.
- Récite ! récite ! s'exclamérent aussitôt tous les convives.
Martial se fit d'autant moins prier qu'il voulait montrer ce qu'il savait faire à Corrine, une éventuelle cliente qu'il devait séduire. Il se leva et commença :
" Bolets et sangliers, si tu m'as fait servir ces mets sans croire qu'ils étaient l'objet de mes souhaits, je t'en remercie. Si tu crois me procurer le bonheur et prétends être couché sur mon testament pour cinq huîtres du lac Lacrin, adieu ! Ton repas pourtant magnifique ne sera plus rien demain.
Les surmulets, les liévres, la tétine de truie aménent un teint jaun‚tre et des pieds qui torturent. A ce prix je ne veux pas les festins de la villa d'Albe ni les banquets offerts à Jupiter Capitolin ou donnés par les pontifes. Cherche d'autres convives pour un autre festin, des convives que séduise la magnificence de ta table. Pour moi, qu'un mien ami m'invite à la fortune du pot. Le dîner que je peux rendre, voilà ce qui me plaît1 ! "
Pline, qui ne s'amusait pas des ripailles souvent gros-1. XIIe livre des Epigrammes de Martial.
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siéres auxquelles il était parfois contraint de participer, fut le premier à applaudir. Corrine trouva les rimes finement choisies et Stace couronna l'épigramme de son ami d'un quatrain sur les exploits d'un maître queux qui savait donner l'apparence d'un poisson à une vulve de truie et celle d'un ramier à un morceau de lard.
Un peu plus tard, aprés que l'on eut go˚té au vin de Salerne, le meilleur de la cave, Calpurnia annonça qu'il n'y aurait qu'un seul service :
- Un chevreau soustrait à la dent d'un loup féroce, dit-elle en riant. Et des poires de Signia que j'ai choisies ce matin au marché.
Il y avait assez de gens d'esprit accoudés sur les lits du triclinium pour agrémenter la cena d'une conversation intelligente. Martial ouvrit la partie en demandant à Marcellus quelle impulsion Vespasien comptait donner à la littérature :
- L'Empereur, bien qu'il soit cultivé et aime les bonnes lectures, n'est pas homme à imposer ses go˚ts. Mais je ne serais pas honnête si je vous cachais que je l'ai plusieurs fois entendu s'insurger contre la mode de la déclamation et les tendances orientalistes de l'époque précédente. Il est dans ce domaine plus prés d'Auguste, son modéle en bien des points, que de Néron. Le redressement national qu'il incarne est basé sur un retour aux sources latines et je crois que cela vaut aussi, dans son esprit, pour un redressement intellectuel.
- Ce n'est pas trés encourageant pour les poétes, commenta Martial. Néron, lui, au moins, nous reconnaissait.
- Oh ! La poésie est d'utilité publique sous tous les régimes et les bons poétes pourront s'épanouir sous Vespasien. Rassure-toi, cher Martial.
Pourtant je pense que la prose sera prépondérante. Pline avec son Histoire naturelle et quintilien avec ses leçons sur la rhétorique plaisent beaucoup à César. Les historiens vont avoir le beau rôle.
- quel dommage que Valerius soit mort au Capitole, 158
I
dit Calpurnia. C'était un grand historien bien qu'il n'ait pas eu le temps d'affirmer sa valeur.
- Est-ce lui qui a raconté la mort de Néron ? demanda Marcellus.
- Oui. Comme je regrette qu'il ne soit plus là pour écrire sur le régne de Vespasien.
- En effet. Il va d'ailleurs falloir que je fasse recopier sonvoîumen carie papyrus, unsaitica d'Alexandrie, était de mauvaise qualité. Je tremble à
l'idée que des documents historiques, des chefs-d'úuvre, risquent de disparaître à cause d'un mauvais papier !
- Nous pouvons être rassurés, nous, les gens d'écriture, dit Pline.
L'Empereur nous appréciera et nous aidera. Ma qualité de serviteur de l'Etat et du pouvoir impérial me vaut l'honneur de rencontrer souvent Vespasien. Eh bien, nous parlons davantage de littérature, de science, de géographie que de politique !
- Mais comment trouves-tu le temps,
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