Les dîners de Calpurnia
l'intérieur, o˘ tout paraissait calme, les oiseaux voletaient en tous sens, affolés, de même que les búufs et les vaches dans les étables. Tout cela pouvait laisser présager un violent orage que les paysans guettaient en vain dans un ciel demeuré intensément bleu. De nouveau les géants souterrains que le peuple craignait se calmérent et la nuit fut douce, étoilée comme il est courant en été.
Le matin du lendemain, le soleil brillait, déjà br˚lant, annonçant une belle journée, quand une secousse bien plus violente encore que celles des jours précédents ébranla le sol. Cette fois l'on céda carrément à la panique et l'on songea, dans la plupart des fermes et des maisons, à fuir les pentes de la montagne maudite.
Un peu avant midi, une formidable explosion se fit entendre. Ce ne pouvait être le tonnerre. Dans toute la région d'Herculanum, des milliers de regards se tournérent vers le volcan dont le sommet apparaissait à
l'ordinaire arrondi dans la verdure des vignes. Stupéfaits, ils découvrirent que le toit du Vésuve s'était scindé en deux et que de la blessure surgissait une haute colonne de feu. Celle-ci n'était, hélas ! que les prémices d'un spectacle plus terrifiant. Un immense champignon de fumée noire succéda à la flamme puis, sans qu'on puisse s'expliquer comment, des rafales de pierres, de terre boueuse, de blocs de roches, des scories, des cendres, se mirent à pleuvoir sur la campagne et dans les rues, au point d'occulter le soleil. A midi, la nuit était tombée, zébrée d'éclairs, hachée d'ombres menaçantes, ponctuée de
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détonations. Pris de frayeur, hommes et animaux s'enfuyaient de la campagne vers la mer mais la plupart des rescapés qui arrivérent au rivage furent emportés par les énormes vagues d'un raz-de-marée.
Les dieux en colére ne pardonnaient rien. C'était la fin du monde, le soleil s'écrasait sur l'univers romain réduit au chaos. Herculanum, que ses habitants valides avaient fui, n'était plus qu'un amas de ruines que couvrait le flot de boue déversé maintenant par le cratére. Le temple de Cybéle, reconstruit à grands frais par Vespasien, la villa des Pison et son incomparable collection de statues, le forum et tous les monuments publics gisaient, détruits, sous quinze métres de boue, de lave, de cendres et de pierres ponces. quand cette masse atteignit le rivage et eut gagné deux cents métres sur la mer, Herculanum, la cité florissante, n'était plus qu'un tombeau.
Les dieux n'étaient pourtant pas rassasiés. Le fléau s'étendait et gagnait Pompéi, plus éloigné du volcan qu'Herculanum. Le nuage effrayant chargé de pierres et de cendres était déjà au-dessus des premiéres demeures o˘ les habitants surpris cherchaient refuge et rassemblaient les objets précieux qu'ils emporteraient s'ils étaient contraints de fuir la ville, perspective de plus en plus probable alors que les lapilli, cendres blanches impalpables et implacables, recouvraient tout, s'infiltraient dans les piéces et commençaient à remplir les caves.
A Pompéi, le drame se nouait d'une autre façon. Le destin dédaignait le fleuve de boue qui avait ravagé Herculanum mais se montrait aussi cruel. Là
aussi, ceux qui n'avaient pas fui à temps, le plus souvent pour sauver quelque richesse, connaissaient une fin atroce, étouffés par les cendres, asphyxiés par les vapeurs délétéres rabattues par le vent. La catastrophe avait été si soudaine que les habitants avaient été surpris dans leurs occupations quotidiennes. Les plus avisés abandonnérent leurs ustensiles et leurs outils pour emprunter en courant les chemins qui menaient à la porte Marine, fuyant le déluge
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de cendres craché par le Vésuve. Rue de la Fortune, rue de Nola, rue de l'Abondance, on se bousculait, on pleurait, on hurlait pour retrouver les siens.
Sous le feu du ciel, les classes sociales n'existaient plus. Palais et masures réduits dans le même magma, maîtres et esclaves, patrons et serviteurs se sentaient solidaires pour esquiver les pierres, se protéger de la poussiére empoisonnée venue du cratére et courir vers le dernier morceau de ciel bleu encore visible à l'horizon, aussi petit et lointain que l'espoir de survivre au déchaînement des forces de la terre.
A vingt-cinq kilométres de là, à Miséne, les deux Pline, l'oncle et le neveu, devisaient tranquillement sur un point de grammaire grecque. Le jeune se croyait prêt à confondre le
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