Les dîners de Calpurnia
payé de sa vie son amour pour l'étude, anéanti à cinquante-sept ans par le Vésuve dont il avait voulu observer de trop prés la funeste éruption.
- Les amis nous quittent trop souvent ! dit Calpurnia à Celer le jour o˘
ils apprirent la tragique disparition de Pline. Aprés Valerius et Marcellus, c'est maintenant le plus savant, le plus droit, le meilleur d'entre nous qui nous laisse une fois encore tristes et désemparés.
Malgré son ‚ge, malgré ses charges officielles, malgré les travaux d'écrivain qui occupaient ses nuits, Pline aimait retrouver, chaque fois qu'il était à Rome, la chaude et amicale atmosphére de la maison du Vélabre dont il était l'hôte le plus illustre.
- Il nous a beaucoup apporté, répondit Celer, et nous n'avons pas fini de le pleurer. Mais qui racontera, pour les
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générations futures, l'histoire de ce grand Romain ? Comme je regrette de n'être pas écrivain !
L'arrivée de Tacite les fit un moment changer de conversation mais on reparla bien vite de celui qu'on avait tant admiré et dont la famille du Vélabre ressentait la mort comme celle d'un pére.
- Avez-vous revu Plinius Secundus ? demanda-t-il. Je l'ai cherché en vain toute la journée.
- Non, je sais qu'il a quitté à temps Miséne avec sa mére malade. Bien que le port ait été à peu prés épargné, la malheureuse n'aurait pas supporté
les contrecoups de la catastrophe si proche, le bruit des explosions, l'angoisse causée par quelques secousses secondaires et, surtout, la vue des rescapés qui errent encore dans les environs dans l'espoir de retourner à Herculanum ou Pompéi et d'y découvrir quelques objets enfouis sous les cendres et les ruines de leur maison.
- Si vous le rencontrez, dites-lui que je veux le voir. J'ai l'intention de réunir les témoignages de survivants pour pouvoir, plus tard, décrire avec fidélité les événements tragiques de l'éruption qui vient d'engloutir deux de nos plus belles villes et de ravager toute une région.
- Tacite, tu ne peux pas savoir combien tu nous soulages, dit Calpurnia.
Juste avant ton arrivée, nous nous demandions qui raconterait l'histoire de Pline et sa fin tragique. Et tu viens nous apprendre que telle est ton intention ! Je prierai, ajouta Calpurnia, pour que tu puisses réaliser ton projet.
- Malheureusement, je dois partir demain, comme questeur, pour la Bretagne dont mon beau-pére est gouverneur1 . Je vais vous laisser une lettre pour Pline que nous n'aurons plus, hélas ! besoin d'appeler " le Jeune ".
Calpurnia l'installa dans le bureau de Celer o˘ il remplit une page de papyrus pour demander à son ami de lui fournir des détails sur le déclenchement de la catastro-1. Tacite avait épousé en 77 la fille du sénateur Agricola, natif de Fréjus. Il s'était ainsi encore plus intégré dans la classe dirigeante de l'Empire.
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phe, les destructions causées par l'éruption et la fin de son oncle. Puis il prit congé pour faire ses bagages. Un voyage en cisium1 de plus d'un mois l'attendait, à raison de soixante-dix kilométres par jour sur les dalles rondes souvent disjointes des voies romaines. Malgré le passeport officiel qui lui permettait d'utiliser les services du cursus publici2,i\
s'agissait d'une épreuve pénible mais les longs voyages qui témoignaient de la puissance de l'Empire ne lui faisaient pas peur.
Pline rentra quelques jours plus tard à Rome et rendit visite à Calpurnia et Celer qui lui remirent le papyrus de Tacite. Il fut touché aux larmes par le message de son ami et dit qu'il allait lui répondre sur-le-champ avec l'espoir que sa lettre pourrait lui être transmise à une étape.
- Rédige-la tout de suite, dit Calpurnia. Tacite est parti il y a trois jours et ta lettre n'aura pas trop de chemin à parcourir pour lui arriver sur la via Appia.
- Tu as raison. Je déposerai ainsi tout à l'heure ma réponse au bureau de la poste. Je veux simplement le remercier et lui dire qu'il me faudra un certain temps pour consigner mes souvenirs.
Il prit une feuille de papyrus et écrivit de sa belle écriture, sans fautes ni ratures :
" Je te remercie, sachant que, si tu décris sa fin, mon oncle accédera à la gloire. Le fait qu'il ait trouvé la mort au milieu des villes campaniennes l'immortalisera en effet au même titre que les populations et les cités englouties. Mon oncle a laissé de nombreux ouvrages impérissables mais tes úuvres ajouteront encore à son renom. Je rends hommage
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