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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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prier, et elle est venue, c'était dehors, je priais dehors,
et elle s'amusait avec cette fille dans le jardin... ou peut-être qu'elle
savait que je serais là.
    Matthew a demandé, Et qu'est-ce que vous lui avez dit ?
    Pas grand-chose, a dit Jack au bout d'un moment.
    Il était pensif.
    Je ne me souviens pas... Nous n'avions pas rompu, mais les
choses s'étaient un peu refroidies entre nous. J'étais toujours épris d'elle,
mais elle non. Je pense qu'elle avait l'impression d'avoir besoin de quelqu'un
de plus mûr. C'est ce qui intéresse les filles. C'était le jour de Yom Kippour
1941. C'est la dernière fois que je l'ai vue. Et puis, comme vous le savez,
quatre semaines après, il y a eu l’Aktion. Elle a été tuée quatre
semaines après, a dit Jack.
     
    C 'était, d'une
étrange façon, bizarre que sa mort me soit rappelée à ce moment précis.
J'avais l'impression que je venais de faire sa connaissance.
    J'ai souvent essayé d'imaginer ce qui avait bien pu lui
arriver, même si, chaque fois que je le fais, je me rends compte à quel point
mes ressources sont limitées. Combien pouvons-nous savoir du passé et de ceux
qui en ont disparu ? Nous pouvons lire les livres et parler à ceux qui y
étaient. Nous pouvons regarder les photos. Nous pouvons aller dans les endroits
où ont vécu ces gens, ou ces choses se sont passées. Quelqu'un peut nous dire,
cela a eu lieu tel ou tel jour, je pense qu'elle allait retrouver des amies,
elle était blonde.
    Mais tout cela reste inévitablement approximatif. Je suis
allé à Bolechow, mais la ville est maintenant tellement transformée
physiquement – de nombreux bâtiments ont disparu ou ont été modifiés au
point d'être méconnaissables, l'effervescence des années 1930 s'est érodée pour
n'être plus rien après soixante ans de stagnation et de pauvreté soviétiques
– que la Bolechow que j'ai visitée en 2001 n'a plus qu'une très vague
ressemblance avec l'endroit que Ruchele a traversé dans les heures qui ont
précédé sa mort. Et même s'il existait aujourd'hui une photographie de la ville
prise le 28 octobre 1941, le jour où Ruchele a été arrêtée, cette photo
pourrait-elle me donner une impression précise de ce qu'elle a pu voir en
marchant jusqu'au Dom Katolicki ? Pas vraiment (nous ne savons même pas, bien
entendu, quel itinéraire elle a suivi, si elle avait la tête baissée ou bien
droite pour essayer de croiser un dernier regard ; nous ne savons même pas si
elle savait que ce serait sa dernière promenade dans la ville). Il y a
donc un problème de visualisation. Et qu'en est-il des autres sens ? Bolechow,
nous le savons, avait une odeur particulière, à cause des produits chimiques
employés dans les tanneries – il y en avait plus de cent, avons-nous
appris. Ruchele, alors qu'elle marchait vers sa mort ce jour-là, a-t-elle senti
cette odeur acidulée de Bolechow ? Quelle est l'odeur de mille personnes
terrifiées poussées vers la mort ? Quelle est l'odeur d'une salle dans laquelle
mille personnes terrifiées ont été entassées pendant une journée et demie, sans
toilettes, une salle dans laquelle le poêle avait été allumé, une salle dans
laquelle quelques douzaines de  personnes avaient été abattues,  dans laquelle
une femme était en travail ? Je ne le saurais jamais. Et quel bruit
faisaient-ils ? Un témoin pourrait avoir écrit ou dit, Les gens criaient et
pleuraient, quelqu'un jouait du piano, mais le pire cri que j'aie jamais
entendu de ma vie, j'en suis certain, c'était le hurlement de mon petit frère
Matt, le jour où, il y a près de quarante ans, je lui ai cassé le bras, et pour
être parfaitement honnête, je n’arrive pas à me souvenir du son exact, je me
souviens simplement qu'il hurlait ; et les pires larmes que j'aie entendues, ce
sont les larmes versées à l'enterrement d'une amie morte trop jeune, mais je
soupçonne que la qualité du son du hurlement émis par un jeune garçon blessé,
même sévèrement, n'est pas celle du son du hurlement émis par, disons, des
hommes d'âge mûr, à qui on a crevé les yeux ou qu'on a forcé à s'asseoir sur un
poêle brûlant ; et, à cet égard, le son de soixante personnes qui pleurent à
des funérailles n'est pas le même que celui de mille personnes pleurant de peur
pour leur vie. Il est en effet probable que si vous deviez lire une description
de ce qui s'est passé pendant les deux jours de la première Aktion à
Bolechow, les images et les sons qui

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