Les disparus
déjeuner,
dont Froma m'avait parlé avec excitation, le fabuleux étalage de toutes sortes
de poissons fumés, l'appareil à jus de fruits saturé d'oranger israéliennes à
la couleur intense, les fromages, les harengs marinés; les bagels, les
pains, il n'y avait que six ou sept personnes dans les parages, ce matin-là. Je
feuilletais les journaux. Un terroriste âgé de quinze ans avait tué un
réparateur de téléphone israélien. Les Israéliens étaient sceptiques en ce qui
concernait le cessez-le-feu annoncé par le Hamas et le Jihad islamique. Un
commando de marine avait été tué au cours d'un assaut israélien contre le
Hamas. Léon Uris, l'auteur d'Exodus, était mort. J'ai posé les journaux
et j'ai bu mon jus d'orange.
Peu de temps après, à dix heures pile, Shlomo a passé le
contrôle de sécurité à l'entrée de l'hôtel et s'est garé devant l'immense hall
d'entrée vide. Il m'avait proposé avec enthousiasme de m'emmener, à deux heures
de route dans le désert, chez Solomon et Malcia Reinharz pour que je puisse les
interviewer. Il nous fallait arriver là-bas à l'heure du déjeuner, m'avait dit
Shlomo, à la demande du couple. Le mari n'aime pas beaucoup rester éloigné de
son travail trop longtemps, a expliqué Shlomo.
Travail ? ai-je répété, incrédule. Compte tenu de ce
que m'avait raconté Shlomo, ce M. Reinharz devait avoir près de
quatre-vingt-dix ans.
Bien sûr, a dit Shlomo avec un grand sourire. Ils ont un
magasin de chaussures depuis plus de cinquante ans, ils y travaillent toujours.
Je me suis dit : au moins ceux-là auront une bonne mémoire.
Pendant que nous sortions de Tel-Aviv, en traversant Jaffa
– où Elkana m'avait emmené dîner, le soir où j'étais arrivé, dans un
restaurant arabe peu avenant, où la nourriture était extraordinaire et où il
avait parlé en arabe avec le propriétaire, son vieil ami –, et ensuite sur
l'autoroute qui n'a bientôt été qu'une ligne coupant une grande étendue de
sable, Shlomo et moi avons parlé. Depuis la mort de mon grand-père, jamais je
ne m'étais senti aussi libre de poser les questions que je désirais poser sur
Bolechow.
Nous avons discuté, dans un état de grande excitation, des
révélations de la veille ; en particulier de l'insistance d'Anna sur le fait
que Frydka s'était cachée avec Shmiel – cette version des événements
devait une bonne partie de son attrait au fait qu'elle concordait avec la
version dont Tante Miriam avait entendu parler, tant d'années auparavant. Une
fois encore, j'ai senti l'urgence derrière l'enthousiasme de Shlomo, l'énergie
qui irradiait chaque fait nouveau lié à Bolechow, même quand il s'agissait d'un
fait relatif à une famille qui n'était pas la sienne. C'était lui, après tout,
qui s'était proclamé chef des « anciens de Bolechow », qui allaient
se réunir à l'automne, comme ils le faisaient toujours, pour leur rencontre
annuelle. C'était Shlomo qui prenait plaisir à me raconter qui étaient les gens
célèbres qui avaient des origines à Bolechow ou dans les environs.
Vous connaissez Krauthammer, le journaliste américain ?
m'a-t-il demandé.
Oui, ai-je dit, je vois qui il est.
Une famille de Bolechow ! s'est écrié Shlomo,
triomphant. Vraiment ? ai-je dit.
Il m'a demandé si ce Krauthammer avait pris contact avec moi
lorsque l'article que j'avais écrit sur notre voyage à Bolechow en 2001 était
paru.
Non, ai-je répondu en souriant, il ne l'avait pas fait. Je
lui ai dit qu'une autre figure bien connue dans le monde de l'édition aux
Etats-Unis, un homme dont le père était né à Stryj, m'avait contacté après
avoir entendu parler de mon voyage en Ukraine, deux ans plus tôt. Wieseltier, ai-je dit, quand Shlomo m'a demandé son nom.
Ah ! s'est-il exclamé. Je pense, oui, il y avait une
famille Wieseltier à Bolechow aussi.
J'ai hoché la tête et expliqué que ce célèbre éditeur,
Wieseltier, qui vivait à Washington, m'avait dit qu'il savait avec certitude
que la famille de sa mère, les Backenroth, était liée à Bolechow, et qu'il
pensait aussi avoir des parents du côté de son père qui avaient vécu à Bolechow
avant la guerre, même s'il ne connaissait pas leurs noms. Shlomo a hoché la
tête et nous avons été d'accord pour dire que Wieseltier était un nom rare, pas
le genre de nom qu'on pouvait confondre avec un autre ou même oublier. Bien
sûr que j'ai connu Wieseltier, avait dit Mme Begley après mon retour
d'Ukraine, il
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