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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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Hitler soit réduit en miettes ! Nous pourrons alors
respirer de nouveau, après tout ce que nous avons subi.
    Un peu plus tard, cependant, dans une lettre à sa sœur
Jeanette, il est clair que « l'état de crise » fait référence à autre
chose que les soucis professionnels :
     
    En lisant les journaux, tu sais un peu ce que les Juifs
subissent ici ; mais ce que tu sais n'est que le centième de ce qui se passe :
quand tu marches dans la rue ou quand tu roules sur la route, tu as à peine
10 % de chances de rentrer chez toi avec ta tète et tes jambes d'un seul
tenant. Tous les permis de travail ont été retirés aux Juifs, etc.
     
    Il y a donc une escalade : la violence physique dont le
gouvernement polonais se croyait volontiers à distance était, de toute
évidence, une réalité pour les marchands juifs de Galicie déjà opprimés
économiquement. Et nous savons, grâce à des articles des journaux de l'époque,
qu'à la fin des années 1930 en Pologne, le nombre des attaques violentes contre
les Juifs augmente nettement : dans 150 villes, entre 1935 et 1937, près de 1
300 Juifs ont été blessés et des centaines ont été tués par... hé bien, par leurs
voisins : les Polonais, les Ukrainiens, avec qui ils vivaient côte à côte plus
ou moins paisiblement, « comme une famille » (comme me l'a dit une
vieille femme de Bolechow, par la suite), pendant tant d'années... jusqu'à ce
que quelque chose eût lâché et les liens se fussent dissous. Les Allemands
étaient méchants, avait l'habitude de me dire mon grand-père en décrivant
–  à partir de quelle référence, de quelle source, de quelle rumeur, je ne
le sais pas et je ne peux pas le savoir –  ce qui était arrivé aux Juifs
de Bolechow pendant la Seconde Guerre mondiale. Les Polonais l'étaient
encore plus. Mais les Ukrainiens étaient pires que tout. Un mois avant que
j'aille en Ukraine avec mes frères et ma sœur, je me trouvais dans le hall
d'entrée étouffant du consulat ukrainien dans la 49 e Rue Est à New
York, attendant pour un visa, et pendant que j'étais là, j'ai regardé les gens
autour de moi, qui parlaient entre eux, avec animation et exaspération souvent,
en ukrainien, criant en direction de l'unique préposé derrière la vitre
blindée, et la phrase, Les Ukrainiens étaient pires que tout, m'a
traversé l'esprit, plusieurs fois, acquérant une sorte de rythme propre.
    C'est dans ces dernières lettres que le ton de Shmiel
commence à être paniqué. Dans une lettre à mon grand-père, écrite probablement
à l'automne 1939 –  il y demande comment s'est passé l'été pour mon
grand-père —, il parle de la possibilité d'envoyer ne serait-ce qu'une de ses
filles à l'étranger, faisant allusion une fois de plus à sa situation financière
difficile :
     
    Si seulement le monde était ouvert et que j'étais en
mesure d'envoyer une enfant en Amérique ou en Palestine, ce serait plus facile,
puisque les enfants coûtent aujourd'hui beaucoup d'argent, particulièrement les
filles...
     
    Dieu bien-aimé devrait seulement accorder que le monde
soit paisible, parce qu'il est, à présent, complètement assombri par les
nuages. On vit dans une terreur constante.
     
    Ne soyez pas broyges yiddish pour « en colère »
avec moi, mes très chers, parce que je vous écris toutes ces lettres dans cette
veine pessimiste, ce n'est pas étonnant — dans la vie, à présent, il y a tant
d'occasions pour les gens d'être si maléfiques entre eux...
     
    Je t'ai maintenant écrit tant de fois, cher Aby...
     
    Il est difficile de ne pas noter le ton de reproche de la
dernière ligne.
    Il est clair que, à la fin de 1939, Shmiel était obsédé par
l'idée de faire sortir sa famille de Pologne. Dans la dernière lettre à sa sœur
Jeanette et à son beau-frère, Sam Mittelmark, il a l'air d'avoir l'esprit très
agité :
     
    En tout cas, voici ma mission : il arrive maintenant que
de nombreuses familles peuvent partir, et ont déjà émigré, en Amérique, pourvu
que leurs familles là-bas fassent un dépôt de 5000 dollars, après quoi ils
peuvent faire sortir leur frère et sa femme et enfants, et ensuite ils
récupèrent le dépôt ; et j'ai idée qu'ils prennent aussi les titres et
peut-être que tu pourrais t'arranger pour m'avancer le dépôt ; l'idée est que,
avec l'argent en mains sûres, je ne serai pas, une fois en Amérique, un fardeau
pour qui que ce soit. Sans quoi je n'aurais pas pris contact avec toi

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