Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
Vom Netzwerk:
maniere
dubitatrice et ambigue. Il faut estimer (dit-il) et croire
fermement, que les ames des hommes vertueux selon nature et selon
justice divine, deviennent d'hommes saincts, et de saincts
demy-dieux, et de demy-dieux, apres qu'ils sont parfaictement,
comme és sacrifices de purgation, nettoyez et purifiez, estans
delivrez de toute passibilité et de toute mortalité, ils
deviennent, non par aucune ordonnance civile, mais à la verité, et
selon raison vray-semblable, dieux entiers et parfaicts, en
recevant une fin tres heureuse et tres-glorieuse. Mais qui le
voudra voir, luy, qui est des plus retenus pourtant et moderez de
la bande, s'escarmoucher avec plus de hardiesse, et nous conter ses
miracles sur ce propos, je le renvoye à son discours
de la
Lune
, et
du Dæmon de Socrates
, là où aussi evidemment
qu'en nul autre lieu, il se peut adverer, les mysteres de la
philosophie avoir beaucoup d'estrangetez communes avec celles de la
poësie : l'entendement humain se perdant à vouloir sonder et
contreroller toutes choses jusques au bout : tout ainsi comme,
lassez et travaillez de la longue course de nostre vie, nous
retombons en enfantillage. Voyla les belles et certaines
instructions, que nous tirons de la science humaine, sur le subject
de nostre ame.
    Il n'y a point moins de temerité en ce qu'elle nous apprend des
parties corporelles. Choisissons en un, ou deux exemples : car
autrement nous nous perdrions dans ceste mer trouble et vaste des
erreurs medecinales. Sçachons, si on s'accorde au moins en cecy, de
quelle matiere les hommes se produisent les uns des autres. Car
quant à leur premiere production, ce n'est pas merveille, si en
chose si haute et ancienne, l'entendement humain se trouble et
dissipe. Archelaüs le physicien, duquel Socrates fut le disciple et
le mignon, selon Aristoxenus, disoit, et les hommes et les animaux
avoir esté faicts d'un limon laicteux, exprimé par la chaleur de la
terre. Pythagoras dit nostre semence estre l'escume de nostre
meilleur sang : Platon, l'escoulement de la moëlle de l'espine
du dos : ce qu'il argumente de ce, que cet endroit se sent le
premier, de la lasseté de la besongne : Alcmeon, partie de la
substance du cerveau : et qu'il soit ainsi, dit-il, les yeux
troublent à ceux qui se travaillent outre mesure à cet
exercice : Democritus, une substance extraite de toute la
masse corporelle : Epicurus, extraicte de l'ame et du
corps : Aristote, un excrement tiré de l'aliment du sang le
dernier qui s'espand en nos membres : autres, du sang, cuit et
digeré par la chaleur des genitoires : ce qu'ils jugent de ce
qu'aux extremes efforts, on rend des gouttes de pur sang :
enquoy il semble qu'il y ayt plus d'apparence, si on peut tirer
quelque apparence d'une confusion si infinie. Or pour mener à
effect ceste semence, combien en font-ils d'opinions
contraires ? Aristote et Democritus tiennent que les femmes
n'ont point de sperme : et que ce n'est qu'une sueur qu'elles
eslancent par la chaleur du plaisir et du mouvement, qui ne sert de
rien à la generation. Galen au contraire, et ses suyvans, que sans
la rencontre des semences, la generation ne se peut faire. Voyla
les medecins, les philosophes, les jurisconsultes, et les
theologiens, aux prises pesle mesle avec nos femmes, sur la
dispute, à quels termes les femmes portent leur fruict. Et moy je
secours par l'exemple de moy-mesme, ceux d'entre eux, qui
maintiennent la grossesse d'onze moys. Le monde est basty de ceste
experience, il n'est si simple femmelette qui ne puisse dire son
advis sur toutes ces contestations, et si nous n'en sçaurions estre
d'accord.
    En voyla assez pour verifier que l'homme n'est non plus instruit
de la cognoissance de soy, en la partie corporelle, qu'en la
spirituelle. Nous l'avons proposé luy mesmes à soy, et sa raison, à
sa raison, pour voir ce qu'elle nous en diroit. Il me semble assez
avoir montré combien peu elle s'entend en elle mesme.
    Et, qui ne s'entend en soy, en quoy se peut il
entendre ?
     
    Quasi vero mensuram ullius rei possit agere, qui sui
nesciat
. Vrayement Protagoras nous en comtoit de belles,
faisant l'homme la mesure de toutes choses, qui ne sçeut jamais
seulement la sienne. Si ce n'est luy, sa dignité ne permettra pas
qu'autre creature ayt cet advantage. Or luy estant en soy si
contraire, et l'un jugement subvertissant l'autre sans cesse, ceste
favorable proposition n'estoit qu'une risée, qui nous menoit à
conclurre par necessité la neantise du

Weitere Kostenlose Bücher