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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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vol à cette licence effrenée. Mais si quelqu'un de ces
nouveaux docteurs, entreprend de faire l'ingenieux en vostre
presence, aux despens de son salut et du vostre : pour vous
deffaire de cette dangereuse peste, qui se respand tous les jours
en vos cours, ce preservatif à l'extreme necessité, empeschera que
la contagion de ce venin n'offencera, ny vous, ny vostre
assistance.
    La liberté donc et gaillardise de ces esprits anciens,
produisoit en la philosophie et sciences humaines, plusieurs sectes
d'opinions differentes, chacun entreprenant de juger et de choisir
pour prendre party. Mais à present, que les hommes vont tous un
train :
qui certis quibusdam destinatisque sententiis
addicti et consecrati sunt, ut etiam, quæ non probant, cogantur
defendere
 : Et que nous recevons les arts par civile
authorité et ordonnance : Si que les escholes n'ont qu'un
patron et pareille institution et discipline circonscripte, on ne
regarde plus ce que les monnoyes poisent et valent, mais chacun à
son tour, les reçoit selon le prix, que l'approbation commune et le
cours leur donne : on ne plaide pas de l'alloy, mais de
l'usage : ainsi se mettent egallement toutes choses. On reçoit
la medecine, comme la Geometrie ; et les battelages, les
enchantemens, les liaisons, le commerce des esprits des trespassez,
les prognostications, les domifications, et jusques à cette
ridicule poursuitte de la pierre philosophale, tout se met sans
contredict. Il ne faut que sçavoir, que le lieu de Mars loge au
milieu du triangle de la main, celuy de Venus au pouce, et de
Mercure au petit doigt : et que quand la mensale couppe le
tubercle de l'enseigneur, c'est signe de cruauté : quand elle
faut soubs le mitoyen, et que la moyenne naturelle fait un angle
avec la vitale, soubs mesme endroit, que c'est signe d'une mort
miserable : Que si à une femme, la naturelle est ouverte, et
ne ferme point l'angle avec la vitale, celà denote qu elle sera mal
chaste. Je vous appelle vous mesme à tesmoin, si avec cette
science, un homme ne peut passer avec reputation et faveur parmy
toutes compagnies.
    Theophrastus disoit, que l'humaine cognoissance, acheminée par
les sens, pouvoit juger des causes des choses jusques à certaine
mesure, mais qu'estant arrivée aux causes extremes et premieres, il
falloit qu'elle s'arrestast, et qu'elle rebouchast : à cause
ou de sa foiblesse, ou de la difficulté des choses. C'est une
opinion moyenne et douce ; que nostre suffisance nous peut
conduire jusques à la cognoissance d'aucunes choses, et qu'elle a
certaines mesures de puissance, outre lesquelles c'est temerité de
l'employer. Cette opinion est plausible, et introduicte par gens de
composition : mais il est malaisé de donner bornes à nostre
esprit : il est curieux et avide, et n'a point occasion de
s'arrester plus tost à mille pas qu'à cinquante : Ayant essayé
par experience, que ce à quoy l'un s'estoit failly, l'autre y est
arrivé : et que ce qui estoit incogneu à un siecle, le siecle
suyvant l'a esclaircy : et que les sciences et les arts ne se
jettent pas en moule, ains se forment et figurent peu à peu, en les
maniant et pollissant à plusieurs fois, comme les ours façonnent
leurs petits en les leschant à loisir : ce que ma force ne
peut descouvrir, je ne laisse pas de le sonder et essayer : et
en retastant et pestrissant cette nouvelle matiere, la remuant et
l'eschauffant, j'ouvre à celuy qui me suit, quelque facilité pour
en jouyr plus à son ayse, et la luy rends plus soupple, et plus
maniable :
    ut hymettia sole
Cera remollescit, tractatáque pollice multas
Vertitur in facies, ipsoque fit utilis usu.
    Autant en fera le second au tiers : qui est cause que la
difficulté ne me doit pas desesperer ; ny aussi peu mon
impuissance, car ce n'est que la mienne. L'homme est capable de
toutes choses, comme d'aucunes : Et s'il advouë, comme dit
Theophrastus, l'ignorance des causes premieres et des principes,
qu'il me quitte hardiment tout le reste de sa science : Si le
fondement luy faut, son discours est par terre : Le disputer
et l'enquerir, n'a autre but et arrest que les principes : si
cette fin n'arreste son cours, il se jecte à une irresolution
infinie.
Non potest aliud alio magis minusve comprehendi,
quoniam omnium rerum una est definitio comprehendendi
.
    Or il est vray-semblable que si l'ame sçavoit quelque chose,
elle se sçauroit premierement elle mesme ; et si elle sçavoit
quelque chose hors d'elle, ce seroit

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