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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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d'asseicher ou
restreindre, ausquelles nous n'avons point de sens qui se puisse
rapporter. Les proprietez que nous appellons occultes en plusieurs
choses, comme à l'aymant d'attirer le fer, n'est-il pas
vray-semblable qu'il y a des facultez sensitives en nature propres
à les juger et à les appercevoir, et que le defaut de telles
facultez, nous apporte l'ignorance de la vraye essence de telles
choses ? C'est à l'avanture quelque sens particulier, qui
descouvre aux coqs l'heure du matin et de minvict, et les esmeut à
chanter : qui apprend aux poulles, avant tout usage et
experience, de craindre un esparvier, et non une oye, ny un paon,
plus grandes bestes : qui advertit les poulets de la qualité
hostile, qui est au chat contr'eux, et à ne se deffier du
chien : s'armer contre le miaulement, voix aucunement
flatteuse, non contre l'abayer, voix aspre et quereleuse. Aux
freslons, aux formis, et aux rats, de choisir tousjours le meilleur
formage et la meilleure poire, avant que d'y avoir tasté, et qui
achemine le cerf, l'elephant et le serpent à la cognoissance de
certaine herbe propre à leur guerison. Il n'y a sens, qui n'ait une
grande domination, et qui n'apporte par son moyen un nombre infiny
de cognoissances. Si nous avions à dire l'intelligence des sons, de
l'harmonie, et de la voix, celà apporteroit une confusion
inimaginable à tout le reste de nostre science. Car outre ce qui
est attaché au propre effect de chasque sens, combien d'argumens,
de consequences, et de conclusions tirons nous aux autres choses
par la comparaison de l'un sens à l'autre ? Qu'un homme
entendu, imagine l'humaine nature produicte originellement sans la
veuë, et discoure combien d'ignorance et de trouble luy apporteroit
un tel defaut, combien de tenebres et d'aveuglement en nostre
ame : on verra par là, combien nous importe, à la cognoissance
de la verité, la privation d'un autre tel sens, ou de deux, ou de
trois, si elle est en nous. Nous avons formé une verité par la
consultation et concurrence de nos cinq sens : mais à
l'adventure falloit-il l'accord de huict, ou de dix sens, et leur
contribution, pour l'appercevoir certainement et en son
essence.
    Les sectes qui combatent la science de l'homme, elles la
combatent principalement par l'incertitude et foiblesse de nos
sens : Car puis que toute cognoissance vient en nous par leur
entremise et moyen, s'ils faillent au rapport qu'ils nous font,
s'ils corrompent ou alterent ce, qu'ils nous charrient du dehors,
si la lumiere qui par eux s'écoule en nostre ame est obscurcie au
passage, nous n'avons plus que tenir. De ceste extreme difficulté
sont nées toutes ces fantasies : que chaque subject a en soy
tout ce que nous y trouvons : qu'il n'a rien de ce que nous y
pensons trouver : et celle des Epicuriens, que le Soleil n'est
non plus grand que ce que nostre veuë le juge :
    Quicquid id est, nihilo fertur
majore figura,
Quam nostris oculis quam cernimus esse videtur
.
    que les apparences, qui representent un corps grand, à celuy qui
en est voisin et plus petit, à celuy qui en est esloigné, sont
toutes deux vrayes :
    Nec tamen hic oculis falli
concedimus hilum ;
Proinde animi vitium hoc oculis adfingere noli.
    et resoluement qu'il n'y a aucune tromperie aux sens :
qu'il faut passer à leur mercy, et chercher ailleurs des raisons
pour excuser la difference et contradiction que nous y trouvons.
Voyre inventer toute autre mensonge et resverie (ils en viennent
jusques là) plustost que d'accuser les sens. Timagoras juroit, que
pour presser ou biaiser son oeuil, il n'avoit jamais apperceu
doubler la lumiere de la chandelle : Et que ceste semblance
venoit du vice de l'opinion, non de l'instrument. De toutes les
absurditez la plus absurde aux Epicuriens, est, desavoüer la force
et l'effect des sens.
    Proinde quod in quoque est his
visum tempore, verum est.
Et si non potuit ratio dissolvere causam,
Cur ea quæ fuerint juxtim quadrata, procul sint
Visa rotunda : tamen præstat rationis egentem
Reddere mendosè causas utriusque figuræ,
Quam manibus manifesta suis emittere quoquam,
Et violare fidem primam, et convellere tota
Fundamenta, quibus nixatur vita salúsque.
Non modo enim ratio ruat omnis, vita quoque ipsa
Concidat extemplo, nisi credere sensibus ausis,
Præcipitésque locos vitare, et cætera quæ sint
In genere hoc fugienda.
    Ce conseil desesperé et si peu philosophique, ne represente
autre chose, sinon que l'humaine science ne se peut maintenir que
par

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