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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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glace :
Et pourtant l'Empereur Adrianus feit que son medecin merquast et
circonscrivist en son tetin justement l'endroit mortel, où celuy
eust à viser, à qui il donna la charge de le tuer. Voyla pourquoy
Cæsar, quand on luy demandoit quelle mort il trouvoit la plus
souhaitable, La moins premeditée, respondit-il, et la plus
courte.
    Si Cæsar l'a osé dire, ce ne m'est plus lascheté de le croire.
Une mort courte, dit Pline, est le souverain heur de la vie
humaine. Il leur fasche de la recognoistre. Nul ne se peut dire
estre resolu à la mort, qui craint à la marchander, qui ne peut la
soustenir les yeux ouverts. Ceux qu'on voit aux supplices courir à
leur fin, et haster l'execution, et la presser, ils ne le font pas
de resolution, ils se veulent oster le temps de la
considerer : l'estre morts ne les fasche pas, mais ouy bien le
mourir.
    Emori nolo, sed me esse mortuum,
nihili æstimo
.
    C'est un degré de fermeté, auquel j'ay experimenté que je
pourrois arriver, comme ceux qui se jettent dans les dangers, ainsi
que dans la mer, à yeux clos.
    Il n'y a rien, selon moy, plus illustre en la vie de Socrates,
que d'avoir eu trente jours entiers à ruminer le decret de sa
mort : de l'avoir digerée tout ce temps là, d'une
tres-certaine esperance, sans esmoy, sans alteration : et d'un
train d'actions et de parolles, ravallé plustost et anonchally, que
tendu et relevé par le poids d'une telle cogitation.
    Ce Pomponius Atticus, à qui Cicero escrit, estant malade, fit
appeller Agrippa son gendre, et deux ou trois autres de ses
amys ; et leur dit, qu'ayant essayé qu'il ne gaignoit rien à
se vouloir guerir, et que tout ce qu'il faisoit pour allonger sa
vie, allongeoit aussi et augmentoit sa douleur ; il estoit
deliberé de mettre fin à l'un et à l'autre, les priant de trouver
bonne sa deliberation, et au pis aller, de ne perdre point leur
peine à l'en destourner. Or ayant choisi de se tuer par abstinence,
voyla sa maladie guerie par accident : ce remede qu'il avoit
employé pour se deffaire, le remet en santé. Les medecins et ses
amis faisans feste d'un si heureux evenement, et s'en resjouyssans
avec luy, se trouverent bien trompez : car il ne leur fut
possible pour cela de luy faire changer d'opinion, disant qu'ainsi
comme ainsi luy falloit il un jour franchir ce pas, et qu'en estant
si avant, il se vouloit oster la peine de recommencer un'autre
fois. Cestuy-cy ayant recognu la mort tout à loisir, non seulement
ne se descourage pas au joindre, mais il s'y acharne : car
estant satis-faict en ce pourquoy il estoit entré en combat, il se
picque par braverie d'en voir la fin. C'est bien loing au delà de
ne craindre point la mort, que de la vouloir taster et
savourer.
    L'histoire du philosophe Cleanthes est fort pareille. Les
gengives luy estoyent enflées et pourries : les medecins luy
conseillerent d'user d'une grande abstinence. Ayant jeuné deux
jours, il est si bien amendé, qu'ils luy declarent sa guarison, et
permettent de retourner à son train de vivre accoustumé. Luy au
rebours, goustant desja quelque douceur en ceste defaillance,
entreprend de ne se retirer plus arriere, et franchir le pas, qu'il
avoit fort avancé.
    Tullius Marcellinus jeune homme Romain, voulant anticiper
l'heure de sa destinée, pour se deffaire d'une maladie, qui le
gourmandoit, plus qu'il ne vouloit souffrir : quoy que les
medecins luy en promissent guerison certaine, sinon si soudaine,
appella ses amis pour en deliberer : les uns, dit Seneca, luy
donnoyent le conseil que par lascheté ils eussent prins pour eux
mesmes, les autres par flaterie, celuy qu'ils pensoyent luy devoir
estre plus aggreable : mais un Stoïcien luy dit ainsi :
Ne te travaille pas Marcellinus, comme si tu deliberois de chose
d'importance : ce n'est pas grand' chose que vivre, tes valets
et les bestes vivent : mais c'est grand' chose de mourir
honestement, sagement, et constamment : Songe combien il y a
que tu fais mesme chose, manger, boire, dormir : boire,
dormir, et manger. Nous roüons sans cesse en ce cercle : Non
seulement les mauvais accidens et insupportables, mais la satieté
mesme de vivre donne envie de la mort. Marcellinus n'avoit besoing
d'homme qui le conseillast, mais d'homme qui le secourust :
les serviteurs craignoyent de s'en mesler : mais ce philosophe
leur fit entendre que les domestiques sont soupçonnez, lors
seulement qu'il est en doubte, si la mort du maistre a esté
volontaire : autrement qu'il seroit d'aussi

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