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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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voudroit empoigner l'eau : car tant plus il serrera et
pressera ce qui de sa nature coule par tout, tant plus il perdra ce
qu'il vouloit tenir et empoigner. Ainsi veu que toutes choses sont
subjectes à passer d'un changement en autre, la raison qui y
cherche une reelle subsistance, se trouve deceuë, ne pouvant rien
apprehender de subsistant et permanant : par ce que tout ou
vient en estre, et n'est pas encore du tout, ou commence à mourir
avant qu'il soit nay. Platon disoit que les corps n'avoient jamais
existence, ouy bien naissance, estimant qu'Homere eust faict
l'Ocean pere des Dieux, et Thetis la mere : pour nous montrer,
que toutes choses sont en fluxion, muance et variation perpetuelle.
Opinion commune à tous les philosophes avant son temps, comme il
dit : sauf le seul Parmenides, qui refusoit mouvement aux
choses : de la force duquel il fait grand cas. Pythagoras, que
toute matiere est coulante et labile. Les Stoiciens, qu'il n'y a
point de temps present, et que ce que nous appellons present, n'est
que la jointure et assemblage du futur et du passé :
Heraclitus, que jamais homme n'estoit deux fois entré en mesme
riviere : Epicharmus, que celuy qui a pieça emprunté de
l'argent, ne le doit pas maintenant ; Et que celuy qui cette
nuict a esté convié à venir ce matin disner, vient aujourd'huy non
convié ; attendu que ce ne sont plus eux, ils sont devenus
autres : Et qu'il ne se pouvoit trouver une substance mortelle
deux fois en mesme estat : car par soudaineté et legereté de
changement, tantost elle dissipe, tantost elle rassemble, elle
vient, et puis s'en va, de façon, que ce qui commence à naistre, ne
parvient jamais jusques à perfection d'estre. Pourautant que ce
naistre n'acheve jamais, et jamais n'arreste, comme estant à bout,
ains depuis la semence, va tousjours se changeant et muant d'un à
autre. Comme de semence humaine se fait premierement dans le ventre
de la mere un fruict sans forme : puis un enfant formé, puis
estant hors du ventre, un enfant de mammelle ; apres il
devient garçon ; puis consequemment un jouvenceau ; apres
un homme faict ; puis un homme d'aage ; à la fin
decrepite vieillard. De maniere que l'aage et generation
subsequente va tousjours deffaisant et gastant la precedente.
    Mutat enim mundi naturam totius
ætas,
Ex alióque alius status excipere omnia debet,
Nec manet ulla sui similis res, omnia migrant,
Omnia commutat natura et vertere cogit.
    Et puis nous autres sottement craignons une espece de mort, là
où nous en avons desja passé et en passons tant d'autres. Car non
seulement, comme disoit Heraclitus, la mort du feu est generation
de l'air ; et la mort de l'air, generation de l'eau. Mais
encor plus manifestement le pouvons nous voir en nous mesmes. La
fleur d'aage se meurt et passe quand la vieillesse survient :
et la jeunesse se termine en fleur d'aage d'homme faict :
l'enfance en la jeunesse : et le premier aage meurt en
l'enfance : et le jour d'hier meurt en celuy du jourd'huy, et
le jourd'huy mourra en celuy de demain : et n'y a rien qui
demeure, ne qui soit tousjours un. Car qu'il soit ainsi, si nous
demeurons tousjours mesmes et uns, comment est-ce que nous nous
esjouyssons maintenant d'une chose, et maintenant d'une
autre ? comment est-ce que nous aymons choses contraires, ou
les hayssons, nous les louons, ou nous les blasmons ? comment
avons nous differentes affections, ne retenants plus le mesme
sentiment en la mesme pensée ? Car il n'est pas vray-semblable
que sans mutation nous prenions autres passions : et ce qui
souffre mutation ne demeure pas un mesme : et s'il n'est pas
un mesme, il n'est donc pas aussi : ains quant et l'estre tout
un, change aussi l'estre simplement, devenant tousjours autre d'un
autre. Et par consequent se trompent et mentent les sens de nature,
prenans ce qui apparoist, pour ce qui est, à faute de bien sçavoir
que c'est qui est. Mais qu'est-ce donc qui est veritablement ?
ce qui est eternel : c'est à dire, qui n'a jamais eu de
naissance, ny n'aura jamais fin, à qui le temps n'apporte jamais
aucune mutation. Car c'est chose mobile que le temps, et qui
apparoist comme en ombre, avec la matiere coulante et fluante
tousjours, sans jamais demeurer stable ny permanente : à qui
appartiennent ces mots, devant et apres, et, a esté, ou sera.
Lesquels tout de prime face montrent evidemment, que ce n'est pas
chose qui soit : car ce seroit grande sottise et fauceté toute
apparente, de dire que

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