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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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verité luy presente : Si c'est Cæsar, qu'il se
treuve hardiment le plus grand Capitaine du monde. Nous ne sommes
que ceremonie, la ceremonie nous emporte, et laissons la substance
des choses : nous nous tenons aux branches et abandonnons le
tronc et le corps. Nous avons appris aux Dames de rougir, oyants
seulement nommer, ce qu'elles ne craignent aucunement à
faire : nous n'osons appeller à droict noz membres, et ne
craignons pas de les employer à toute sorte de desbauche. La
ceremonie nous deffend d'exprimer par parolles les choses licites
et naturelles, et nous l'en croyons : la raison nous deffend
de n'en faire point d'illicites et mauvaises, et personne ne l'en
croit. Je me trouve icy empestré és loix de la ceremonie : car
elle ne permet, ny qu'on parle bien de soy, ny qu'on en parle mal.
Nous la lairrons là pour ce coup.
    Ceux de qui la fortune (bonne ou mauvaise qu'on la doive
appeller) a faict passer la vie en quelque eminent degré, ils
peuvent par leurs actions publiques tesmoigner quels ils
sont : Mais ceux qu'elle n'a employez qu'en foule, et de qui
personne ne parlera, si eux mesmes n'en parlent, ils sont
excusables, s'ils prennent la hardiesse de parler d'eux, mesmes
envers ceux qui ont interest de les cognoistre ; à l'exemple
de Lucilius :
    Ille velut fidis arcana sodalibus
olim
Credebat libris, neque si malè cesserat, usquam
Decurrens alio, neque si benè : quo fit, ut omnis
Votiva pateat veluti descripta tabella
Vita senis
.
    Celuy la commettoit à son papier ses actions et ses pensées, et
s'y peignoit tel qu'il se sentoit estre.
Nec id Rutilio et
Scauro citra fidem, aut obtrectationi fuit
.
    Il me souvient donc, que dés ma plus tendre enfance, on
remerquoit en moy je ne sçay quel port de corps, et des gestes
tesmoignants quelque vaine et sotte fierté. J'en veux dire
premierement cecy, qu'il n'est pas inconvenient d'avoir des
conditions et des propensions, si propres et si incorporées en
nous, que nous n'ayons pas moyen de les sentir et recognoistre. Et
de telles inclinations naturelles, le corps en retient volontiers
quelque ply, sans nostre sçeu et consentement. C'estoit une
affetterie consente de sa beaute, qui faisoit un peu pancher la
teste d'Alexandre sur un costé, et qui rendoit le parler
d'Alcibiades mol et gras : Julius Cæsar se grattoit la teste
d'un doigt, qui est la contenance d'un homme remply de pensemens
penibles : et Cicero, ce me semble, avoit accoustumé de rincer
le nez, qui signifie un naturel mocqueur. Tels mouvemens peuvent
arriver imperceptiblement en nous. Il y en a d'autres artificiels,
dequoy je ne parle point. Comme les salutations, et reverences, par
où on acquiert le plus souvent à tort, l'honneur d'estre bien
humble et courtois : on peut estre humble de gloire. Je suis
assez prodigue de bonnettades, notamment en esté, et n'en reçois
jamais sans revenche, de quelque qualité d'hommes que ce soit, s'il
n'est à mes gages. Je desirasse d'aucuns Princes que je cognois,
qu'ils en fussent plus espargnans et justes dispensateurs ;
car ainsi indiscretement espanduës, elles ne portent plus de
coup : si elles sont sans esgard ; elles sont sans
effect. Entre les contenances desreglées, n'oublions pas la morgue
de l'Empereur Constantius, qui en publicq tenoit tousjours la teste
droicte, sans la contourner ou flechir ny çà ny là, non pas
seulement pour regarder ceux qui le saluoient à costé, ayant le
corps planté immobile, sans se laisser aller au bransle de son
coche, sans oser ny cracher, ny se moucher, ny essuyer le visage
devant les gens.
    Je ne sçay si ces gestes qu'on remerquoit en moy, estoient de
cette premiere condition, et si à la verité j'avoy quelque occulte
propension à ce vice ; comme il peut bien estre : et ne
puis pas respondre des bransles du corps. Mais quant aux bransles
de l'ame, je veux icy confesser ce que j'en sens.
    Il y a deux parties en cette gloire : Sçavoir est, de
s'estimer trop, et n'estimer pas assez autruy. Quant à l'une, il me
semble premierement, ces considerations devoir estre mises en
compte. Je me sens pressé d'une erreur d'ame, qui me desplaist, et
comme inique, et encore plus comme importune. J'essaye à la
corriger : mais l'arracher je ne puis. C'est, que je diminue
du juste prix des choses, que je possede : et hausse le prix
aux choses, d'autant qu'elles sont estrangeres, absentes, et non
miennes. Cette humeur s'espand bien loing. Comme la prerogative de
l'authorité fait, que les maris

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